Penser l'absolu aujourd'hui
Nouveau questionnement métaphysique, ontologique et endo-ontologique
En France, ces dernières années, les questions métaphysiques ont regagné en importance et en intérêt. Un nouveau réalisme spéculatif a vu le jour qui veut en finir avec Kant et sa postérité corrélationiste. Face au transcendantalisme barrant tout accès à la chose en soi s’est positionnée une espèce de transcendantisme, qui réaffirme non seulement l’existence de la chose en soi, mais qui prétend aussi que nous pouvons avoir une connaissance scientifique de ce transcendant qu’est le « monde dehors », irréductible au simple monde-pour-nous, comme le prétend le corrélationisme.
Entre corrélationistes radicaux et matérialistes spéculatifs s’est engagée une véritable gigantomachie, comme le fait remarquer Isabelle Thomas-Fogiel dans sa présentation du récent livre de Michel Bitbol, au titre provocateur Maintenant la finitude en référence au livre fondateur du nouveau réalisme que Quentin Meillassoux avait publié en 2007 sous le titre Après la finitude.
Se basant sur le principe de la non-contradiction pragmatique qui exige l’accord entre le contenu d’un énoncé et l’acte d’énonciation, les deux courants se réfutent réciproquement.
Après la finitude identifie bien un absolu toujours déjà présent malgré eux chez les corrélationistes. Et ceux-ci de répondre que les matérialistes spéculatifs ne peuvent pas non plus à ce niveau se passer du corrélationisme. Car après avoir identifié l’absolu latent du corrélationiste, le matérialiste spéculatif doit penser l’absolu qui devient ainsi un absolu pour lui, et son prétendu « matérialisme spéculatif se trouve à nouveau enclos dans le cercle corrélationnel auquel il voulait à tout prix échapper ».
Entre les deux positions, il y a stricte équivalence, et aucune ne peut disqualifier l’autre en se servant du seul principe de la non-contradiction pragmatique. Bitbol propose donc de lui adjoindre le principe de la non-contradiction existentielle. Grâce à ce principe, le corrélationisme pourrait prendre le dessus, avec sa pensée de l’être, proche de celle de Heidegger et de Wittgenstein, et déjà présente aussi chez Nagarjuna, ce sage indien du IIIesiècle après Jésus-Christ.
Ni Wittgenstein ni Heidegger ne pensent en effet un impensable possible. Loin de s’évader vers des au-delà putatifs de la pensée, ces deux grands penseurs du XXesiècle se servent plutôt de la pensée pour se lover au plus près de ce qui la sous-tend : la vie vécue du penseur, avant qu’elle ne soit distinguée de ce qu’elle vit, et avant que le penseur ne se soit individualisé par l’identification à son corps. Selon Heidegger, l’homme ne se borne pas « à penser que l’étant est ; il l’« éprouve », il en fait l’expérience (erfährt) ; mieux, il en éprouve directement la « merveille », car c’est seulement comme splendeur exclusive, inanticipable, et n’offrant donc aucune prise à la pensée, que l’être de l’étant éclate. »
Que l’étant est se découvre donc et s’éprouve, mais ne se pense pas. Ni le monde ne précède la connaissance, ni celle-ci ne constitue celui-là, mais le monde et la connaissance sont de fait inséparables, d’une inséparabilité qui témoigne de l’irraison globale du phénomène singulier de l’il y a. Selon Bitbol, ce phénomène ne vaut ni « seulement pour nous » ni « en soi », mais « pour-nous-en-tant-qu’être-participant-de-l’en-soi ». Toute conception d’un absolu devient donc vaine, non seulement parce qu’il est contradictoire de penser quelque chose d’indépendant de la pensée, mais parce que l’acte de concevoir fait partie du conçu, dans un « lien de consubstantialité impossible à ab-soudre ». Et Bitbol de conclure : « après cela, seule demeure l’opportunité rare, mais transformante, d’un saisissement dans/par l’absolu.
L’approche est certainement intéressante, mais nous ne pouvons pas ne pas demander pourquoi ce « saisissement dans/par l’absolu » ne peut pas être pensé, surtout qu’il y a en France un autre courant, magistralement ignoré en ces débats métaphysiques, qui invite à le faire : le maxencéisme développé par Maxence Caron dans ses ouvrages « La Vérité captive » et « La Transcendance offusquée » qui montre en œuvre une pensée de la Différence fondamentale. Une autre piste pourrait être la pensée structurale systématique de Lorenz B. Puntel, encore peu connue en France. Puntel développe sa pensée au-delà de Heidegger qui est critiqué et complété dans confronte aux penseurs français Lévinas et Marion dans Sein und Gott. Pour aborder autrement les prétendus paradoxes de la physique quantique que par le corrélationisme radical proposé par Michel Bitbol, on pourrait consulter Wolfgang Smith, qui dans ses études redécouvre la causalité verticale et fait le lien avec la sagesse pérenne, occidentale et orientale, pour positionner la science contemporaine dans l'espace des cosmologies traditionnelles.
Ce n’est qu’après avoir intégré ces approches par une étude élargie que l’ontologie et la métaphysique pourront retrouver leurs lettres de noblesse qu’elles n’auraient jamais dû perdre.
A lire :
Michel BITBOL :
Maintenant la finitude. Peut-on penser l’absolu, 2019
Quentin MEILLASSOUX :
Après la finitude. Essai sur la nécessité de la contingence, 2006
Lorenz B. PUNTEL :
Struktur und Sein. Ein Theorierahmen für eine systematische Philosophie, 2006
Sein und Gott. Ein systematischer Ansatz in Auseinandersetzung mit M. Heidegger, E. Lévinas und J.-L. Marion, 2010
Maxence CARON :
La Vérité captive. De la philosophe. Système nouveau de la philosophie et de son histoire passée, présente et à venir, 2009
La Transcendance offusquée. De la philosophe. Système nouveau de la Pensée, de l’Art et de l’Histoire passée, présente et à venir, 2018
Wolfgang SMITH :
Sagesse de la cosmologie ancienne. Les cosmologies traditionnelles face à la science contemporaine, 2010
Physics and Vertical Causation. The End of Quantum Reality, 2019
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