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Novembre 2014 : En l'honneur de nos missionnaires, morts au Congo il y a 50 ans

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"Je suis la Résurrection et la Vie" Cathédrale de Kisangani (Photo Sr Marthe Senninger) "Je suis la Résurrection et la Vie" Cathédrale de Kisangani (Photo Sr Marthe Senninger)

P. Alfred Nothum SCJ

Cinquantième anniversaire

de nos « martyrs »

de la rébellion de 1964 au Congo

 

Introduction et clarifications

Lorsque j’ai été contacté pour écrire cet article sur le cinquantième anniversaire de la rébellion de 1964 au Congo, j’ai pensé à d’autres anniversaires, qui sont célébrées ces jours-ci, ainsi le centenaire et le  75e anniversaire des deux grandes guerres mondiales, 1914-1918 et 1940-1945, mais aussi les attentats perpétrés en 2001 aux États-Unis notamment contre les tours jumelles du World Trade Center à Manhattan, que la date du 11 septembre rappelle chaque année. Pourquoi le rappel de ces autres anniversaires?

Parce que je suis travaillé par une question délicate, angoissante, même fondamentale : allons-nous célébrer le cinquantième anniversaire de la rébellion de 1964 au Congo, de la même manière, avec une même mentalité extériosée d’une manière semblable, que sont célébrés ces anniversaires politiques, que je viens de  rappeler ?

D’abord quelques précisions. Parlant de la rébellion de 1964 au Congo, il s’agit du Congo, l’ancienne colonie belge qui est l’actuelle République démocratique du Congo, encore souvent appelée Congo-Kinshasa[1]. Il y eut plusieurs rébellions au Congo et il y en a encore aujourd’hui. Il s’agit de celle de 1964, où tant de mes confrères de la congrégation des Prêtres du Sacré-Cœur et tant de Sœurs des congrégations de la Doctrine, de Saint-Elisabeth et de beaucoup d’autres encore, mais également de bien plus d’autres personnes, noires et blanches (comme dit Mgr Kinsch), européennes, américaines, congolaises[2], ont trouvé une mort brutale, ont été massacrées, sont mortes « martyrs ».

Et alors, ma réponse ? - Pour moi, Non ! Il ne suffit pas de commémorer, bien plus, il ne faut pas simplement commémorer ! Car, dans notre Église, l’Église de Jésus Christ, l’Église qui est le Corps du Christ, le « martyre » témoigne d’une toute autre valeur, a une autre signification, produit un autre impact. D’où, cette question plus actuelle, qui me travaille : que veut dire pour nous, aujourd’hui, ici, en Europe, le fait de ces événements révoltants de ce  lointain passé de 1964 ? Surtout, que veut dire pour nous, aujourd’hui, ici, en Europe, le rappel de ces événements, leur cinquantième anniversaire ? 

Cette question me travaille et me trouble, d’abord, parce que deux de ces « martyrs », de ces « témoins massacrés », furent, pendant les études gréco-latines, mes compagnons de classe à l’école apostolique missionnaire de Clairefontaine ; ensuite, avec bien d’autres encore, nous nous préparions, à Louvain par les études de philosophie et de théologie, à approfondir notre vie comme religieux-prêtres du Sacré-Cœur et à recevoir la consécration presbytérale.

Cette question me trouble ensuite, parce que je ne sais pas, si je réussis à formuler clairement une réponse valable qui ne soit pas pure phraséologie creuse et vide ! Elle me trouble enfin, parce que, pour moi comme  prêtre, mais  probablement, et je l’espère, pour tout croyant qui réfléchit, elle signifie simplement : par ces événements du passé et maintenant par leur rappel, le Dieu d’aujourd’hui, donc après cinquante ans, ce Dieu, que veut-il me dire, nous dire aujourd’hui, pour ma manière, pour notre manière d’être et d’agir aujourd’hui ?

Et alors, comment vais-je procéder ? De nombreux articles, documents et études ont été publiés, relatant ces évènements, avec photos, croquis, plans géographiques, essayant souvent aussi d’en préciser les causes, cherchant à dire les non-dits, s’efforçant à comprendre et faire comprendre l’incompréhensible. Je ne reviendrai pas sur le détail de ces événements. Qui le désire pourra trouver une documentation facilement abordable, dans la revue de Clairefontaine Heimat & Mission et à l’Internet[3]. Aussi, pour ma question, dans cet article, je rappellerai l’essentiel de ces événements, pour autant qu’ils se soient passés à Kisangani et Wamba, les deux villes principales des deux diocèses, confiés alors aux Prêtres du Sacré-Cœur.

 

Mon premier contact avec nos « martyrs »

Depuis mon enfance, je rêvai de partir comme missionnaire au Congo.  À l’époque de la rébellion, je n’y étais pas encore, mais presque. En juillet 1964, dès que j’ai eu terminé la licence en droit canonique à Rome, j’ai eu hâte de partir. J’ai expédié mes effets personnels et je suis parti pour Bruxelles, pour y prendre l’avion. Mais là, surprise ! Une rébellion a éclaté au Congo, me dit-on ! Impossible, donc, de partir pour le moment. Plus tard, je devais apprendre qu’elle est arrivée à Kisangani, le 4 août.

Je me suis rendu à Luxembourg chez mon supérieur provincial, le Père Gindt, qui me dit alors  avec  réalisme : « Si tu le désires, en attendant que tu ne puisses partir, je peux demander à Mgr l’évêque de te nommer dans une bonne paroisse ; mais alors, tu seras tenté d’y prendre goût et tu abandonneras ton projet de partir pour le Congo. Il vaut mieux demander à notre supérieur général, le Père de Palma, de rentrer à Rome pour terminer tes études de droit canonique, et ce sera aussi plus utile pour ton futur travail aux missions. » Ce qui me fut accordé.

Mais alors, comme un signe de la Providence, c’est précisément à Rome que j’ai eu mon premier contact avec cette rébellion, un contact particulièrement troublant, parce qu’il me fit comme toucher du doigt cet événement écœurant, et surtout, parce qu’il semblait me suggérer une des « causes » possible de ces atrocités[4].   

Début décembre 1964, nous avons accueilli à Rome le Père hollandais …., qui, après le massacre à la Rive Gauche de Kisangani, le 25 novembre, était d’abord resté, pour que le vicaire général congolais du diocèse, Mgr Augustin Fataki, ne soit pas seul, après le départ précipité, le 25 novembre et les jours suivants, de tous les autres missionnaires, Pères, Frères, Sœurs. Il arrivait dans notre communauté ; ou plutôt il se précipitait vers nous et saluait, en haletant lourdement : « Je suis vivant ! Je suis vivant ! » Alors un  jeune confrère étudiant congolais s’approchait aussi pour le saluer, mais il ajoutait : « Je me souviens bien de vous ; vous avez été mon professeur au petit séminaire ; car, un jour, vous m’avez giflé ».

Premier questionnement. - Sur le moment, ce « vous m’avez giflé » nous a seulement fortement étonné, mais sa portée, le ressentiment qu’elle exprime, la rancune de ce confrère congolais, maintenue encore après qu’il ait passé une dizaine d’années de formation en Europe, … cette rancune, je ne l’ai comprise que bien plus tard, au Congo (1968-1993) et puis en Europe après mon retour définitif du Cameroun (1993-2009). Ici et là, j’ai vécu en contact, de très près, avec des personnes qui, elles aussi, ont été comme subjuguées par de profondes rancunes provoquées par des paroles, des gestes, des décisions injustes ou considérées comme injustes : parmi ces personnes, il y a eu des baptisés catholiques ne croyant plus, des fidèles pratiquants, des religieux et des prêtres, un évêque. Des rancunes entre individus, entres familles, entre autorités, entre responsables et les personnes dont ils avaient à répondre.

Des rancunes qui, régulièrement ou occasionnellement, remontaient à la conscience, détruisant équilibre intérieur. Des rancunes non maîtrisées, non raisonnées, non guéries, mais maintenues, entretenues, souvent petites mais finissant, comme des boules de neige, par devenir des avalanches destructrices, causant des mésententes toujours plus malveillantes, jusqu’à provoquer des gestes de pure méchanceté, des actions de véritable violence. Des rancunes pires, finissant par détruire toute réflexion logique, concernant d’abord l’événement lui-même qui a causé ces rancunes, concernant ensuite les vraies causes qui sont à son origine, pour en arriver même à affirmer qu’il est la cause d’autres malheurs survenus dans la suite. Des rancunes, enfin, collectives nourries, chauffées, grossies, aux conséquences désastreuses : des rancunes à l’origine, parmi d’autres causes, de certains conflits nationaux/internationaux, ethniques/religieux, comme, par exemple, au Congo.

Et alors, ma question : et moi ? avec mes rancunes à moi, où en suis-je, aujourd’hui ? Devant mon Dieu, qui vit en moi ? Ou bien, si je ne crois pas, où en suis-je, maintenant, devant ma conscience, en dialoguant avec ma conscience ?

Je pense qu’il faut avoir le courage et la lucidité pour en arriver à poser encore les deux questions suivantes. Est-ce que je m’efforce de prendre conscience des conséquences désastreuses que certaines rancunes produisent d’abord en moi-même, comme une faille dans ma personnalité, et ensuite en d’autres personnes, surtout, parce que les rancunes  contribuent, en s’ajoutant à celles d’autres personnes et de groupes de personnes, à renforcer et augmenter lentement mais inexorablement le potentiel de risques de détruire l’entente et la paix dans l’entourage immédiat, dans des familles, villages, autres groupes de personnes, même dans des paroisses et des communautés religieuses, jusqu’à l’intérieur d’une nation et entre les nations. Il y a vraiment trop d’atrocités et de monstruosités dans notre monde d’aujourd’hui[5], pour ne pas nous sentir obligés d’en chercher les moindres causes et de supplier toute personne, tout groupe de personnes, restreint ou étendu, de les combattre , avec toutes les énergies possibles, débloquant toutes les capacités dormantes.

J’aimerai aller plus loin : à cause de ces conséquences même seulement possibles, est-ce que je cherche sérieusement à « guérir » mes propres rancunes, par des efforts personnels, avec l’aide de personnes compétentes, et, si je suis chrétien, ne dois-je pas me sentir obligé de me confier à l’Esprit Saint, qui, lui, est le maître de l'impossible, celui qui rend l’impossible possible.

 

Les atrocités de la rébellion de 1964 à Wamba

Le Père Émile Wolter, prêtre du Sacré-Cœur luxembourgeois, inspecteur de l’enseignement du diocèse de Wamba, y a subi comme témoin oculaire les atrocités infligées par les rebelles aux missionnaires et à tant d’autres personnes, du 15 août au 30 décembre 1964. C’est son récit[6] que j’essaie de résumer et, en partie, d’interpréter pour nous aujourd’hui. 

Avec des coups de fusils et des rafales de mitraillettes, les rebelles sont entrés à Wamba le 15 août. D’abord, les missionnaires et les Sœurs devaient se rassembler chez l’évêque ; ils étaient trois Pères, un Abbé et 16 religieuses, parmi lesquelles trois belges, quatre italiennes et neuf congolaises de la congrégation de la Sainte Famille (Jamaa Takatifu). Peu après, ils furent forcés de courir vers le bâtiment de l’administration territoriale, où se trouvaient déjà tous les blancs du poste administratif de Wamba. Puis, des clameurs sauvages à l’extérieur : l’administrateur territorial, un blanc, est amené, cruellement maltraité ; il est encore tabassé sauvagement de coups de crosses et de bottes, puis il est fusillé.

Ensuite le capitaine reproche aux missionnaires d’« avoir fait de la politique » (critiqué le régime) depuis 1960.  Ils sont renvoyés chez eux. Le soir et puis régulièrement jusque fin novembre, leur maison est soumise à des perquisitions, pour trouver les soldats de l’Armée nationale congolaise, qui s’y seraient réfugiés ; surtout pour trouver les postes émetteurs cachés, car, pour eux, l’évêque devait être en communication avec les américains ; aussi,  postes de radio, transistors, tourne-disques, magnétophones, appareils de photo sont confisqués.

Les trois jours suivants, des scènes atroces se passèrent sur la grande place devant le bâtiment de l’administration. Tous les chefs coutumiers, les employés de l’administration et les titulaires de postes importants furent massacrés, par trois pelotons d’exécutions armés, l’un de fusils, l’autre de lances, le troisième de gros bâtons. Avant le coup de grâce, les condamnés furent cruellement mutilés ; on leur coupait tout ce qu’on peut couper à un corps humain ; pire, un infirmier dut écorcher vif un grand chef coutumier. La population, elle fut forcée d’assister à ces spectacles écœurants.  

Les missionnaires pouvaient rester chez eux. Par des instituteurs témoins, ils apprirent ces scènes terribles. Ils apprirent aussi les racontars que les rebelles avaient propagés depuis leur arrivée : « Les missionnaires blancs sont des menteurs; ils prêchent Jésus, qui est le sauveur des blancs ; notre sauveur à nous, c’est Lumumba, et c’est lui que nous devons maintenant prier ».

Ensuite la vie redevint à peu près normale. En septembre et en octobre, les écoles primaires et moyennes purent reprendre : 3.000 enfants aux primaires ; pourtant près de 300 partirent,  alléchés par les primes et soldes élevés donnés à qui s’engageait comme soldat-rebelle. Pour les écoles moyennes, les salles étaient bondées ; mais l’absence des professeurs en congé en Europe ne permit d’ouvrir que les deux premières années.

À partir du 29 octobre, l’atmosphère changea avec un fait nouveau aux conséquences néfastes : le contrôle de l’identité. Il fallait se rendre au mess des officiers, où se trouvaient déjà tous les Européens : un colonel de Kisangani contrôlait les identités. Les grecs et les Sœurs purent rentrer chez eux ; tous les autres, évêque, missionnaires et belges furent mis en résidence surveillée à l’Hôtel des Palmes. Le soir, furent amenés les missionnaires de Ligondo et le P. Flick de Bayenga ; ainsi les missionnaires étaient onze avec Monseigneur. Le lendemain, ils furent relâchés, mais pas les autres européens. Le 1er novembre, retour à l’Hôtel des Palmes, où se trouvaient déjà les missionnaires de Maboma et de Ngayu.

Le 3 novembre, retour à la mission, en résidence surveillée. Le 9 novembre, furent amenés les Pères de Pawa, Ibambi, Babonde et  Legu. Ainsi, avec les Pères de Bafwabaka, arrivés quelques jours plus tôt, et avec Monseigneur, ils étaient 22 Pères, 6 Frères et 6 planteurs belges. Au couvent des Sœurs européennes, il y avait 46 Sœurs et dans celui des Sœurs congolaises, finirent par arriver, peu à peu au cours du mois, 34 Sœurs de la congrégation de la Jamaa. Il y avait abondance de vivres, grâce à un envoi de la Caritas au début de juillet. Le 13 novembre, un autre présage significatif se produit : tous sont « triés » et enfermés dans deux chambres, les belges dans l’une, tous les autres dans la seconde.

À cette époque, ils apprirent l’assassinat du Père Bernard Longo à Mambasa, accusé d’avoir, dans sa mission à Nduye, un appareil émetteur, alors qu’il s’agissait de son magnétophone cassé. Comme le tribunal populaire, le 3 novembre, refusait de condamner le Père, le commandant imposa, lui seul, la sentence de mort ; un simba transperça la poitrine du Père avec sa lance.

C’est le soir du 24 novembre, jour où les parachutistes belges ont libéré Kisangani, qu’allait commencer pour de bon le chemin de croix et le calvaire pour les personnes de la mission et du diocèse de Wamba, et pour les européens. Mgr Wittebols, cinq Pères et deux Frères récitaient la prière du soir, lorsque la porte s’ouvrit et des rebelles se précipitèrent sur eux, avec des coups de crosses et de bottes, puis les firent courir vers la maison des Pères, où se trouvaient les autres Pères, déjà battus à sang ; il fallait remettre souliers, bas, lunettes et montres. On amena les européens, planteurs de café. Puis, tout le monde dut courir vers la prison, sous une pluie de coups de crosse ; surtout l’évêque était visé, qui, myope, trébuchait dans la nuit obscure. Ils durent se coucher à plat ventre sur le sol de la cour intérieure, et les rebelles reprirent les sévices : courses avec leurs gros souliers sur ce tapis de corps et cravaches sauvages avec leurs ceinturons de militaires.

Puis, vint l’ordre : « Assez pour aujourd’hui », et la précipitation  vers le cachot. Une rigole profonde devant la porte, non vue dans la nuit obscure, fit culbuter tout le monde, les uns sur les autres, et les rebelles, assis près d’un feu, jetèrent des brandons sur eux. Les rebelles amenèrent encore quatre Pères, dont le Père Schilling, qui avaient été enfermés dans le couvent des Sœurs à Wamba, ainsi que les Sœurs. Pendant la fouille du couvent, ils avaient trouvé deux bréviaires et les avaient jeté par terre, en criant : « Il ne vous est plus la permis de prier, car si vous le faites, vous priez seulement en faveur des autres ! » Elles furent forcées de participer, dans la cour, à des danses avec chants en l’honneur de Lumumba, ensuite seulement elles purent se réfugier dans la prison.

Le jour suivant, 25 novembre, pas de tracasseries ; vers cinq heures du soir, retour à la cour intérieure ; contrôle des identités : les américains sont placés d’un côté, plus loin les belges, puis les non-belges. Ces américains, dont en fait un seul est américain, l’autre étant anglais, tous deux missionnaires protestants, furent exécutés sur le champ : les nuques brisées à coup de bottes, puis transport au fleuve pour y être jetés.

Les belges subirent les pires supplices, surtout Mgr Wittebols : il y avait contre lui surtout deux accusations : il serait contre les noirs ; comme preuve : pour le petit déjeuner, il se ferait servir un petit enfant noir ; il cacherait un poste émetteur pour appeler les américains. Un capitaine finit par arrêter les sévices ; il déclara être envoyé par l’État-major de Kisangani pour les libérer : « retournez maintenant à la maison, mais abstenez-vous de faire de la politique. » Vers une heure du matin du 26 novembre, des simbas vinrent contrôler de nouveau les papiers : les belges, Mgr et sept confrères durent reprendre le chemin du cachot : ils ne revinrent plus. Vers une heure, un capitaine vint inspecter les appartements de Mgr. Le lendemain matin, un « officier judiciaire » inspecta de nouveau les deux pièces de Mgr, les ferma à clé et écrit à la craie sur la porte : « Décédé ». Il fit de même pour les chambres de nos six confrères belges et six colons.

Dans l’après-midi, un étudiant du collège de Kisangani réussit à venir voir le Père Wolter et lui raconta les détails de l’horrible carnage. Le matin du 26 novembre, devant toute la population, munie de lances et de couteaux, on fit sortir du cachot les 24 condamnés et se coucher sur la pelouse. Le colonel revendiqua l’honneur d’abattre Mgr Wittebols ;  le « planton » de mission fut forcé de couper à la hache une jambe de Mgr. Les simbas lancèrent des rafales de mitraillette dans la tête et le dos des autres. La population dut mutiler les cadavres à coups de couteaux et de lances. Ensuite les corps furent jetés dans le Wamba, ruisseau proche de la mission, dont l’eau était alors très basse à cause de la saison sèche : les cadavres s’y décomposaient sous le soleil tropical. - Le 2 janvier 1995 seulement, les mercenaires purent s’y rendre pour leur donner une sépulture honorable.

Les Sœurs européennes (nos Sœurs, dit le P. Wolter ; puis il parle des Sœurs noires) ? – Le soir du 24 novembre, elles avaient aussi été arrêtées, maltraitées et mises en résidence surveillée dans un Hôtel. Les simbas leur avaient arraché tous les habits, et toute la nuit elles durent subir des ignominies honteuses (Schändliches). Mais le matin, elles purent rentrer à la maison. Depuis ce jour jusqu’à leur libération, elles se relayaient jour et nuit, pour pratiquer le chapelet perpétuel.

Les Sœurs congolaises ? – Voici leur chemin de croix selon les Pères Wolter et Matungulu Otene. - Le 29 novembre, dans l’après-midi, des simbas hurlants envahirent leur couvent à Bafwabaka ; elles étaient 32, en train de manger. Les simbas leur criaient qu’ils venaient de tuer Mgr et tous les Pères de Wamba, et qu’elles devaient se préparer de partir. Par des détours, des rencontres avec d’autres chefs de la rébellion et sous les menaces et insultes des simbas, qui leur arrachèrent chapelets, insignes religieux et statuettes, et les jetèrent dans la brousse, elles finirent par arriver, le 30 novembre vers 18.30 heures, à Isiro. Là, elles entendirent les véritables intentions des simbas à leur égard : « Toutes ces belles filles congolaises, inutiles, au lieu d’enfanter des enfants à Lumumba ; si elles restent ici une semaine, elles finiront toutes par être enceintes ». Deux hauts officiers déclarèrent ouvertement de vouloir prendre pour femme, l’un Sœur Marie-Clémentine Anuarite Nengapeta, l’autre la Sœur Jean-Baptiste Bokuma. Comme elles refusaient énergiquement, ces officiers insultaient les Sœurs : « pour les Pères, vous êtes toujours prêtes ; pour nous vos frères, vous n’avez que mépris » ; d’autres simbas déclarèrent : « aux Pères, vous vous donnez, mais quand nous vous désirons, vous refuser ». Après des va-et-vient harassants dans la ville, elles finirent par être logées dans la maison vide d’un européen.

Alors commença le calvaire pour les deux jeunes Sœurs. Comme elles résistèrent de toutes leurs forces au colonel Olombe, celui-ci fut saisi d’une colère folle et commença à les battre sauvagement avec la crosse d’un fusil. Anuarite eut la force de dire : « Je ne veux pas commettre ce péché, si tu le veux, tue-moi… Je te pardonne, tu ne sais pas ce que tu fais (et sous les coups)… C’est ainsi que je l’ai voulu ». Les deux Sœurs d’évanouirent. Le colonel appela deux simbas pour transpercer Anuarite de leurs lances[7]. Puis il tira encore un coup de fusil sur elle, lui fracturant le bras gauche.   

Après d’autres tracasseries, il permit aux Sœurs de prendre le corps d’Anuarite : elle était inconsciente, respirait encore faiblement et expira vers une heure de la nuit du 1er  décembre. La Sœur Jean-Baptiste, qui avait eu un bras cassé, fut conduite à l’hôpital et fut ainsi sauvée. Toute la nuit, Olombe et les autres simbas maltraitèrent les Sœurs : des coups de poing, des coups de crosse de fusil, des coups avec des bâtons et des barres de fer ; en vain : « Jamais nous n’avons vu des femmes au cœur si dur comme vous ; vous êtes des sorcières ; nous ne voulons plus vous voir ici à Isiro ; allez-vous-en à Bafwabaka ». Un lieutenant les y conduisit en camion ; mais le commandant les ramena à Wamba en prison, ou, pendant toute la nuit elles durent encore lutter pour leur pureté, puis elles purent rentrer dans leur couvent.

Quant aux rescapés du massacre du 26 novembre à Wamba,  le 8 décembre, ils durent retourner à la prison, pour un nouveau contrôle des nationalités. Trois luxembourgeois, un espagnol, un français, un suisse, un yougoslave et un Wallon, furent libérés. Le lendemain, tous les autres recouvrèrent la liberté, sans que les Sœurs aient dû subir encore une fois des sévices. Le 10 décembre, une issue heureuse se préparait. Le commandant devait répondre à l’accusation : la vie ou la mort. Il fixa longtemps la pointe de ses pieds, puis déclara : « Je ne puis pas le faire, n’ayant reçu aucun ordre du général à ce sujet ». Peu après, le directeur de la prison fit signer un papier aux sept Pères et à trois mécaniciens, qu’ils étaient médecins et ils furent libérés, ainsi que les Sœurs infirmières. Les autres, 12 Pères et 22 Sœurs, durent encore rester en prison pendant trois jours, encore une période atroce pour les Sœurs.

Le 24 décembre, la veille de Noël, le Père Wolter, quatre Pères et cinq Sœurs durent se rendre chez lui à Mungbere, à 130 km, pour y discuter avec le général Olenga sur leur sort. Ils arrivèrent vers onze heures de la nuit : pas de Général. Un colonel, le lendemain, se déclara incompétent et exigea que tous les Pères et Sœurs de Wamba viennent à Mungbere. Jusqu’au 28 décembre, par le va-et-vient d’une camionnette, puis d’un camion plus grand, tous les Pères et Sœurs furent amenés, à l’exception du Fr. Wolfgang, un excellent mécanicien, et sept religieuses.

Le 29 décembre, les mercenaires libérèrent Wamba, chargèrent en hâte sur leurs autobus et camions les neuf missionnaires et 111 grecs, partirent d’abord pour Isiro, puis pour Mungbere, à 180 km, où ils arrivèrent vers sept heures du matin : « Vous êtes libres ! Venez ! Hâtez-vous pour partir ». Le Père Koens, gravement blessé d’une balle à la jambe fut d’abord transporté en hélicoptère. Puis, à toute allure, départ pour Isiro, par Bétongwé pour libérer 17 femmes et enfants, belges, dont les maris/pères avaient été massacrés. Le 31 décembre, un gros avion américain assure le transport pour Kinshasa[8].

 suite dans le numéro 2/2014 de Heimat und Mission, à commander fin novembre hum@scjef.org

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