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A propos du livre de Mgr André Léonard: “Métaphysique de l’être”

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A propos du livre de Mgr André Léonard: “Métaphysique de l’être”

A propos du livre de Mgr André Léonard:

Métaphysique de l’être

 

Qu’est-ce que l’être ? Comment pouvons nous le connaître ? Quel en est le sens ? Pourquoi y a-t-il de l’être plutôt que rien ?C’est à ces questions fondamentales que tente de répondre la métaphysique, cette science, ou mieux cette sagesse, qui occupe l’être humain depuis ses origines. Ce questionnement pourrait paraître loin de la réalité telle que nous la vivons tous les jours. Et pourtant, si on s’adonne à la recherche métaphysique, on constate peu à peu que ces questions fondamentales et les réponses données déterminent implicitement tout notre être au monde. 

André Léonard, professeur de philosophie à l’Université de Louvain avant d’être nommé en 1991 évêque de Namur, vient de publier ses recherches à ce sujet dans sa « Métaphysique de l’être. Essai de philosophie fondamentale ». (*)

Au début de la seconde partie de son ouvrage magistral, Mgr Léonard résume dans une phrase-programme ce qu’il compte faire, à savoir « chercher une pensée métaphysique de l’être dont le réalisme intègre la subjectivité transcendantale sans que la tonalité ainsi obtenue se dialectise dans le système de la négativité absolue ni que l’existence humaine y soit placée devant la positivité énigmatique d’un être hypostasié et indifférencié. »

Ce programme se justifie à partir des résultats de la première partie de l’ouvrage où Mgr Léonard fait un examen critique de quatre grandes figures historiques de la pensée métaphysique.

L’exigence d’un réalisme vient de l’étude approfondie de la métaphysique de saint Thomas d’Aquin qui a su mettre au centre de ses réflexions l’acte d’être dans sa plénitude non subsistante. Cette accentuation sur la non subsistance de l’être des étants interdit de ranger sans plus saint Thomas dans cette histoire de l’onto-théologie tant décriée par Heidegger. Thomas offre au contraire tout ce dont on a besoin pour élaborer une métaphysique tenant compte des mises au point ultérieures. Pour saisir l’être, dans sa différence d’avec les étants, Thomas présente le système du sujet, de l’essence et de l’être, analyse le rapport de l’intelligence à l’être, déploie la richesse des transcendantaux que sont l’un, le vrai, le bon, le beau, et parle de la connaissance de Dieu en se basant sur les développements féconds de l’approche analogique de l’être. Ainsi sont posés les jalons pour une approche réaliste de l’être que Mgr Léonard reprend, mais non sans être passé par la critique du dogmatisme.

Une deuxième grande figure de l’histoire de la métaphysique vient en aide, à savoir Kant, qui met l’accent sur la raison, ses possibilités et ses limites, pour retenir à la fin de ses Critiques que finalement le sens de l’être est déterminé en fonction de la subjectivité transcendantale. Cette accentuation critique en direction du sujet est certes indispensable et doit être intégrée dans toute métaphysique future, mais elle doit elle-même être critiquée, dans le sens que l’être n’est pas seulement dans ou pour le « Cogito » (le « Je pense » moderne) mais que le « Cogito » lui-même est aussi immergé dans l’être et se reçoit de lui.

Pour « réimmerger la subjectivité moderne dans le sol nourricier de la métaphysique », Mgr Léonard parcourt les résultats d’une troisième grande figure de la métaphysique, à savoir Hegel. Bon connaisseur de ce philosophe et de l’idéalisme allemand en général, Mgr Léonard, par ailleurs merveilleux pédagogue, sait apprécier la force métaphysique sans négliger les points faibles de ces systèmes qui absolutisent la négativité et, par la pensée comme « compréhension » totale, étouffent dans cette négativité absolue la positivité originaire de l’être.

Avec Heidegger, la quatrième grande figure présentée dans la première partie historico-critique, on retrouve une pensée de l’être « qui n’est pas sans certaines complicités avec l’ontologie de Thomas d’Aquin ». Heidegger sait questionner le rapport entre l’être et l’étant pour mettre en lumière l’être dont l’homme n’est pas le créateur, mais bien le berger. Malheureusement, cette pensée de l’être que Heidegger développe est trop simpliste en ce sens qu’elle évite les grandes questions autour de la subsistance de l’être. Elle finit par hypostasier sans plus l’être qui anonymement et sans raison donne l’étant (weil Es das Seiende gibt). Ainsi l’émerveillement, l’étonnement et le questionnement devant l’être sont finalement remplacés par une simple admiration devant l’ « être-ainsi » des choses et du monde.

Dans la deuxième partie, traité systématique, Mgr Léonard, fort de ses résultats du parcours historico-critique, quitte la simple admiration heideggérienne pour revenir à l’émerveillement devant l’être de l’étant. Il le fait en compagnie de Gustav Siewerth et de Hans Urs von Balthasar en abordant la triple différence métaphysique. L’émerveillement devant l’être fait en effet entrevoir d’abord la différence existentielle entre le Je et le Tu, qui laisse apparaître toute la richesse de l’être comme amour ; puis la différence ontologique entre les étants et l’être dans sa plénitude, mais non subsistant ; enfin la différence théologique entre l’être de l’étant et Dieu, l’Etre comme plénitude subsistante et personnifiée.

Cette structuration permet au grand penseur systématique qu’est André Léonard de reprendre tous les thèmes essentiels pour une recherche métaphysique : l’autre, la personne, la liberté, la création, Dieu, le néant, le mal…

Beaucoup de ces thèmes sont en rapport direct avec la révélation chrétienne. Se pose alors l’épineuse question du rapport entre métaphysique et révélation, question à laquelle Mgr Léonard revient dans sa conclusion.

Loin de stériliser la pensée philosophique, comme le pense naïvement Heidegger, la révélation chrétienne l’a plutôt prodigieusement stimulée et libérée pour elle-même. Elle l’a conduit à une « émancipation » (Ermächtigung) comme le dit Gustav Siewerth. Et ainsi la métaphysique occidentale reste marquée par un a priori théologique, de même que la théologie chrétienne inclut toujours en elle la parole philosophique. Mgr Léonard résume dans une de ces formules dont il a le secret : Depuis la révélation chrétienne « il  n’y a plus ni théologie philosophiquement vierge, ni philosophie théologiquement pure ». Et avec Hans Urs von Balthasar, il ose répéter après l’avoir suffisamment démontré par ses propres recherches que « le chrétien est le gardien de la métaphysique ».

Mgr Léonard termine son important ouvrage en ouvrant de nouvelles perspectives associées à des noms comme Böhme, Baader, Soloviev, Berdiaev et Bruaire, et dirige le lecteur vers les écrits d’Emmanuel Tourpe qui fut jadis son étudiant et dont le maître affirme qu’il l’a largement dépassé.

« Oui, la métaphysique a encore un bel avenir… » C’est sur ces mots que se termine ce livre impressionnant d’un des grands penseurs chrétiens contemporains qui a le rare talent pédagogique d’exposer les pensées les plus complexes dans une langue claire et compréhensible sans leur ôter leur profondeur.

Dès le début de son livre, Mgr Léonard donne raison à tous ceux qui disent que la métaphysique ne sert à rien. Car si la métaphysique ne sert à rien, « c’est parce qu’elle est un but en soi et vaut par soi. Seul l’inessentiel est utile. L’essentiel, lui, est toujours gratuit. »

P. Jean-Jacques Flammang SCJ

(*) Mgr André Léonard, évêque de Namur : Métaphysique de l’être. Essai de philosophie fondamentale, Paris, Les Éditions du Cerf, 2006, 448 pages.

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