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Dieu et la science

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Dieu et la science

Le nouveau livre de Stephen Hawking et Leonard Mlodinow

Y a-t-il un grand architecte dans l'Univers

Quand des scientifiques veulent devenir métaphysiciens sans en avoir les moyens...

 

« La philosophie est morte » nous proclame de façon lapidaire le nouveau livre de Stephen Hawking écrit en collaboration avec Leonard Mlodinow[1] ; elle est morte, « faute d’avoir pu suivre les développements de la science moderne, en particulier de la physique », et donc c’est aux scientifiques de reprendre « le flambeau dans notre quête du savoir » pour nous dire s’il y a un grand architecte dans l’Univers ou non. Il revient au lecteur de ce livre de juger lui-même si le flambeau repris par ces scientifiques l’éclaire dans sa recherche du sens de son existence ou si dans leurs mains le flambeau finit plutôt par s’éteindre.

Il est certes vrai que nombre de philosophes n’ont pas suivi les développements de la science moderne. C’est dommage, et c’est sans doute la raison pour laquelle leurs théories ne nous ont plus beaucoup à dire sur la condition humaine telle qu’elle est vécue de nos jours. Mais de là à vouloir passer le flambeau de la quête du savoir à des scientifiques qui n’ont que de très faibles connaissances philosophiques, c’est une aventure risquée, surtout qu’il y a les autres, les Whitehead, les Ladrière, les Smith qui sans proclamer la mort ni de la philosophie, ni de la science ont plutôt étudié et apprécié les deux pour nous ouvrir des chemins autrement intelligents que ce que nous proposent des scientifiques comme Stephen Hawking et Leonard Mlodinow, déguisés en métaphysiciens, mais ignorant quasi tout des recherches actuelles en philosophie.

Voyons donc ce que nous propose le récent ouvrage « Y a-t-il un grand architecte dans l’Univers ? ». On ne peut reprocher à ses auteurs d’ignorer les développements de la physique contemporaine : ils en sont des acteurs géniaux et très en vogue.

Mais serait-ce pour cela qu’ils donneraient, comme ils le prétendent dès les premières pages de leur livre, la réponse définitive à ces anciennes questions que l’humanité n’a cessé de poser : Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Pourquoi existons-nous ? Pourquoi ces lois particulières et pas d’autres ?

Leur livre commence par une lecture plus ou moins honnête de l’histoire de la science moderne. Y est souligné le génie novateur des sages ioniens tels Thalès, Anaximandre et autres présocratiques. Mais ce ne serait que plus tard, nous dit-on, après un oubli de presque 2000 ans que ces premières découvertes encore rudimentaires auraient pu se développer.

Inutile de dire que dans ce cadre restreint la physique d’Aristote récolte encore moins d’estime que chez Galilée et la physique moderne. Et d’ailleurs pour confirmer la lecture réductrice de la réalité telle que leur discours l’a entamée, nos deux scientifiques n’ont que faire d’un Aristote et de son questionnement sur la cause finale, ni d’ailleurs d’un Moyen-Âge chrétien qui par ses grands penseurs a heureusement développé la métaphysique ancienne pour écrire une nouvelle ontologie malheureusement oubliée par la pensée moderne. De tout cela nos deux auteurs n’ont pas la moindre idée. Leur lecture tout à fait superficielle, voire ridicule de la fameuse condamnation de 1277 des erreurs averroïstes (à la page 33 de leur livre) témoigne du bas niveau de connaissance tant de l’histoire du savoir humain qu’ils réduisent au seul savoir scientifique que de l’enjeu épistémologique des rapports entre foi et raison si profondément discutés au XIIIe siècle et si important pour comprendre quoi que ce soit au questionnement sur Dieu et sur l’être en Occident.    

Avec une naïveté confondante, nos deux scientifiques s’appuient sur leur axiome dogmatique : la science à elle seule sait, et toute autre approche de la réalité n’a plus de raison d’être.

Ce sont les lois de la nature et le déterminisme qui les guident dans leur reconstruction de l’histoire du savoir humain, où disparaissent alors la liberté et le questionnement sur le sens pourtant déjà présents dans les récits mythiques que nos deux scientifiques contemporains ne savent que ridiculiser à plusieurs reprises dans leur livre.

Et des recherches en neurosciences qui concernent au moins en partie cette problématique, ils concluent sans plus : « Il semble donc que nous ne soyons que des machines biologiques et que notre libre arbitre ne soit qu’une illusion. »

En métaphysiciens improvisés, il ne leur vient nullement à l’esprit de poser la question sur le statut ontologique de cette illusion. C’est dire qu’il faut vraiment se méfier et ne pas trop vite céder « le flambeau de la quête du savoir » à ces scientifiques qui proclament sans preuve suffisante la mort de la philosophie.

Savoir qu’un tremblement de terre n’est pas voulu par une divinité mythique, mais bien régi par des lois de la nature, est-ce vraiment une réponse au questionnement des survivants qui se demandent pourquoi ils ont perdu les leurs et leurs biens et quel est le sens de leur vie ?

Même accumulées en nombre innombrable, ou bien au contraire réduites à quelques lois fondamentales qui expliqueraient tous les mouvements de la matière et la matière elle-même, ces lois scientifiques de la nature n’effleurent mêmes pas les questions soulevées par l’existence humaine.

Au début du XXe siècle un des plus profonds philosophes logiciens a pu écrire dans la Préface de son bref, mais combien novateur Tractatus logico-philosophicus : « Die Beantwortung aller möglichen wissenschaftlichen Fragen ist die vollständige Beschreibung der wissenschaftlichen, aussprechbaren Welt, doch damit sind die Probleme des Lebens noch gar nicht berührt oder gelöst. » C’était au début du XXe siècle. Que Wittgenstein se console ! Au début du XXIe siècle Stephen Hawking et Leonard Mlodinow ont la prétention de donner une réponse à toutes ces questions  métaphysiques par leur fameuse M-théorie qu’ils présentent « candidate à la théorie du Tout ».

Alors que nous dit leur M-théorie ? Elle prétend répondre à la question du titre de leur livre : « Y a-t-il un grand architecte dans l’Univers ? ».[2] Et la réponse qu’elle donne est évidemment non.  Le raisonnement de nos deux scientifiques est simpliste.

Premier pas : A étudier les lois physiques de notre univers, nous ne pouvons pas ne pas constater l’ajustement extrêmement fin de toutes ces lois. C’est le fameux principe anthropique des années 1980 qui nous ferait croire qu’il y ait un grand architecte dans l’Univers qui aurait ajusté ces lois pour faire advenir la vie et à son sommet l’homme : une vérité métaphysique d’ailleurs développée de façon autrement intelligente par saint Thomas d’Aquin par exemple.

Deuxième pas : vu que nous sommes des hommes modernes et fiers de l’être, nous ne voulons pas d’un grand architecte ; autonomes, nous n’avons que faire d’un Dieu créateur. Il faut donc le faire disparaître aussi vite que possible quitte à voler le flambeau de la quête du savoir aux philosophes. Mais ce n’est pas une mince affaire si on examine attentivement l’Univers et le savoir humain accumulé pendant des millénaires : tout en effet semble proclamer la gloire de Dieu.

Troisième pas : Ici on a la trouvaille de ceux qui ont repris le flambeau de notre quête du savoir. Vu qu’il est difficile de nier le grand architecte de l’Univers, on finit par nier ce dernier. S’il n’y a en effet plus d’Univers indépendant, on n’a plus besoin non plus de parler de son architecte. Que nous étions bêtes de ne pas l’avoir remarqué plus tôt !

Quatrième pas : C’est dit, c’est fait ! Au lieu de parler d’un Univers qui aurait besoin d’un grand architecte vu ses lois si finement ajustées, on invente avec la M-théorie un multivers, c’est-à-dire un ensemble d’univers multiples, voire même d’univers en nombre infini. Ainsi nous n’avons plus besoin de poser la question ni de l’origine, ni de la spécificité de notre univers qui somme toute n’est qu’un parmi tant d’autres.

« A l’instar de Darwin et Wallace expliquant l’émergence apparemment miraculeuse d’une structuration du vivant sans intervention d’un être supérieur, le concept de multivers peut expliquer l’ajustement fin des lois physiques sans recourir à un créateur bienfaisant ayant conçu l’Univers pour notre seul profit. »

Conclusion : Nous ne vivons pas dans un Univers comme nous l’avait fait croire la science jusqu’à maintenant, mais suite aux développements scientifiques récents nous savons aujourd’hui que nous vivons dans un multivers incluant parmi tant d’autres aussi notre univers. Si vous avez compris cela, vous savez pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien, pourquoi nous existons et pourquoi il n’y a pas de Dieu.

Même illustrée par des formules mathématiques hermétiques pour le grand public, la nouvelle mythologie scientiste ne ferait pas pour autant mieux comprendre notre véritable existence.

Le livre de Stephen Hawking et de Leonard Mlodinow nous rappelle Frank J. Tipler[3], ce physicien théorique qui au siècle passé a démontré la résurrection des corps et la vie éternelle avec la même physique, seulement qu’à l’époque elle n’a pas encore été transformée en M-théorie. Ou encore, plus sérieux, à John C. Eccles[4], prix Nobel, qui à partir de la physique quantique a essayé en neurosciences de comprendre les fondements de la liberté humaine.

Tout ceci nous avertit que pour répondre à nos questions existentielles et métaphysiques, il vaut mieux ne pas se fier aux seuls scientifiques. Gardons ensemble, philosophes et scientifiques, logiciens et théologiens, artistes et littéraires le flambeau de notre quête du savoir. Tout dogmatisme étroit, même scientifique, donne certes des réponses, mais des réponses qui ne convainquent que les convaincus.

Pour aborder plus sérieusement la question du « grand architecte dans l’Univers », il y a des livres plus intelligents pour nous guider[5]. Certes, il faut faire un plus grand effort pour les lire que pour lire la mythologie scientiste de Hawking et de Mlodinow, mais le résultat sera lui aussi autrement utile. Du côté littéraire et philosophique est à recommander absolument « La Vérité captive » de Maxence Caron, qui ouvre magistralement un nouveau système de la philosophie et de son histoire. Il y a aussi dans le même sens, mais à partir de la logique et de l’ontologie, les travaux exceptionnellement riches de Lorenz B. Puntel[6] qui reformule en deux volumes substantiels les bases correctes pour une possible démonstration de l’existence de Dieu. Il y a encore les travaux du physicien, mathématicien et métaphysicien Wolfgang Smith qui plaide pour une ontologie suffisamment élaborée à même d’interpréter sans paradoxes les résultats de la physique quantique. Il y a enfin Jean Ladrière, ce philosophe, scientifique, logicien, épistémologue et théologien hors du commun, dont l’œuvre est encore trop mal connu par ceux qui prétendent aujourd’hui reprendre le flambeau de la quête du savoir sans toujours disposer des moyens adéquats.

 

P. Jean-Jacques Flammang SCJ

Article paru dans la Warte février 2012 

 

  



[1] Stephen Hawking et Leonard Mlodinow : Y a-t-il un grand architecte dans l’Univers ? traduit de l’anglais The Great Design 2010, par Marcel Filoche. Paris, Odile Jacob, 2011, 240 pages. ISBN 978-2-7381-2313-8

[2] Le titre original du livre écrit en anglais : « The Great Design »

[3] cf. Frank J. Tipler : Die Physik der Unsterblichkeit. Moderne Kosmologie, Gott und die Auferstehung der Toten. Piper, 1994.

[4] Cf. entre autres nombreuses publications surtout : John Eccles : Wie das Selbst sein Gehirn steuert. Piper, 1994.

[5] A l’exception de Lorenz B. Puntel (cf. note 6), nous avons présenté brièvement les auteurs sous-mentionnés dans notre livre « Dieu étant...Diverses Perspectives ». Pour Wolfgang Smith voir le chapitre « L’insuffisance des ontologies modernes. Le retour à la métaphysique thomiste s’impose » pp. 35-40. 

[6] Voir : Lorenz B. Puntel : Struktur und Sein. Ein Theorierahmen für eine systematische Philosophie. Tübingen, Mohr Siebeck, 2006, 687 pages. ISBN 987- 3-16-148964-0 et Sein und Gott. Ein systematischer Ansatz in Auseinandersetzung mit M. Heidegger, E. Lévinas und J.-L. Marion, Tübingen, Mohr Siebeck, 2010, 444 pages. ISBN 978-3-16-150146-3.

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