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"Si Dieu n'existait pas..."

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"Si Dieu n'existait pas..."

Article publié le 17 octobre dans la "Warte" du "Luxemburger Wort"


A propos du nouveau livre « Dieu existe »

« Si Dieu n’existait pas, nous ne pourrions pas l’inventer »

La raison humaine et les arguments pour l’existence de Dieu

 

 

Nombreuses sont les publications qui reparlent aujourd’hui de Dieu en se basant sur ce que la raison humaine peut en dire. Ce n’est pas étonnant, car la question de Dieu est une des plus importantes pour l’avenir de l’humanité.

 

Au début de la modernité toutes les sciences ouvraient sur la réalité divine et les scientifiques modernes n’évitaient pas la question de l’existence de Dieu. Il fallait attendre la fin du 18e siècle pour voir apparaître aux limites de la science un discours athée, souvent motivé par une volonté de savoir ou de pouvoir qui accorderait à l’homme une entière autonomie.

 

Diderot, « Lumière pour le 21e siècle »

Lorsque Diderot par exemple se mettait à étudier l’origine de la vie, il partait d’abord comme la plupart de ses contemporains du créateur biblique pour rejoindre ensuite les positions déistes des Lumières, avant de constater que la vie s’expliquerait bien sans intervention divine, et donc que Dieu n’existe pas.

De nos jours pareil raisonnement semble un peu rapide, mais ce qu’il faut apprécier chez Diderot c’est qu’il avait le courage de changer d’opinion suite à de nouvelles découvertes ou de nouvelles évidences.

Pour le 300e anniversaire de sa naissance d’aucuns se demandent si le philosophe du 18e pourrait bien être « une Lumière pour le 21e siècle ». Certainement il le peut, non pas pour ses positions prises qui sont quasi toutes dépassées de nos jours, mais bien pour ce qui concerne son honnêteté intellectuelle. Se laisser illuminer par sa « Lumière » serait reprendre comme lui honnêtement les données du savoir actuel et ne pas se laisser enfermer dans des dogmes ou des superstitions scientistes des temps passés.

Un domaine qui doit absolument être revu à cette « Lumière », c’est le discours rationnel sur Dieu. Beaucoup a changé depuis quelques décennies, et l’honnêteté intellectuelle exigerait une attitude éclectique au sens que Diderot lui a donné dans sa fameuse « Encyclopédie » :  « L’éclectique est un philosophe qui, foulant aux pieds le préjugé, la tradition, l’ancienneté, le consentement universel, l’autorité, en un mot tout ce qui subjugue la foule des esprits, ose penser de lui-même, remonter aux principes généraux les plus clairs, les examiner, les discuter, n’admettre rien que sur le témoignage de son expérience et de sa raison ; et de toutes les philosophies, qu’il a analysées sans égards et sans partialité, s’en faire une particulière et domestique qui lui appartient. »

Autour de la question de Dieu, le travail est immense. Il faut s’informer sur les découvertes récentes pour déconstruire les préjugés, les prétendues autorités et le consentement quasi universel qui subjuguent trop souvent nos esprits. Il faut aussi oser penser de soi-même et être prêt à changer d’opinion si cela s’impose.

 

De Dieu on reparle beaucoup

Récemment le grand public fut informé au sujet de la démonstration de l’existence de Dieu telle qu’elle avait été élaborée vers 1970 par le logicien Kurt Gödel. On sait que Gödel a longtemps travaillé sur son argumentation logique avant de la communiquer à quelques amis. Maintenant cette démonstration réapparaît dans de nombreux travaux logiques,[1] et deux logiciens allemands[2]  l’ont vérifiée avec leur petit ordinateur. Leur conclusion : la démonstration du génial logicien Gödel est correcte.

Il va de soi que l’attitude générale de méfiance envers tout ce qui concerne Dieu fait resurgir l’ancienne réserve qui prétend que peu importe les démonstrations Dieu relève exclusivement de la croyance.[3] C’est là une attitude largement partagée, mais non pas justifiée logiquement, comme le montre de façon convaincante Lorenz B. Puntel dans ses livres magistraux « Struktur und Sein » et « Sein und Gott ».[4] Une théorie générale systématique de l’être ne peut pas ignorer Dieu.

Dans sa « Réponse à Stephen Hawking »[5], le physicien Wolfgang Smith montre lui aussi qu’une attitude athée ne peut être une conclusion des sciences cosmologiques. Et le génial philosophe Maxence Caron a réécrit tout un système nouveau de la philosophie et de son histoire qui montre comment la philosophie actuelle continue à tenir captive la vérité pourtant évidente sur la Différence fondamentale qu’est Dieu.[6]   

S’y ajoutent les recherches récentes en théologie naturelle qui se sont donné comme objectif de revisiter tous les domaines scientifiques pour voir comment y apparaît la question de l’existence de Dieu.[7] Leur conclusion est nette : l’existence de Dieu est plus probable que son inexistence. 

 

« Dieu existe »

 C’est le titre lapidaire d’une étude récente sur les arguments philosophiques concernant l’existence de Dieu.[8]

Dès le début de son impressionnant ouvrage, Frédéric Guillaud avertit son lecteur : « Ce livre ne parle pas de religion. » Ce qui intéresse ce philosophe, enseignant au Grand Séminaire de Versailles, c’est de savoir « s’il existe un être suprême, suffisamment distinct du monde pour qu’on puisse l’appeler « Dieu ». Il s’agit donc d’une recherche purement philosophique, appuyée sur les seules ressources de l’expérience et de la logique. » Voilà un beau programme développé sur quelque 400 pages, bien écrites et accessibles à tous ceux qui désirent avoir une « Lumière » plus claire sur notre connaissance de Dieu.

Le livre s’ouvre par une critique sérieuse du criticisme kantien. Guillaud a bien vu l’importance et l’influence néfaste de nos jours d’une certaine lecture de Kant qui voudrait barrer tout accès à la théologie naturelle. Mais les arguments pour ce faire sont-ils probants ? Guillaud analyse à nouveau les antinomies de la raison pure et son jugement critique retient : Kant s’est trompé, car les antithèses de ces prétendues antinomies ne sont pas vraies, mais fausses, et par conséquent on n’a plus d’antinomies au sens propre du terme. Le slogan principal de Kant qui prétend que « le principe de causalité est inutilisable au-delà des phénomènes » est inconsistant, il se détruit lui-même. Nous sommes donc libérés du « sur-moi königsbergien », et le champ est libre pour une nouvelle approche de la théologie naturelle.

Celle-ci se développe en deux parties. D’abord il est montré que « le monde ne suffit pas ». Guillaud revisite les anciennes démonstrations de l’existence de Dieu à partir de l’existence du monde. Il dialogue avec les sciences naturelles et cosmologiques, et arrive à cette conclusion étonnante, mais finalement bien argumentée : ce ne sont plus comme jadis les échecs de la science qui renforceraient l’hypothèse théiste que Dieu existe – un Dieu bouche trou, mais bien ses réussites. Emerveillés en face des lois de la nature et de leur force explicative, nous pouvons légitimement conclure à une intervention divine dans leur fabrication.

 Dans l’autre partie, Guillaud discute les preuves a priori de l’existence de Dieu : l’argument ontologique, l’argument fondé sur l’idée d’infini et celui fondé sur l’aspiration au bonheur. Son constat : « Si Dieu n’existait pas, nous ne pourrions pas l’inventer. » Or nous parlons de Dieu, donc…

Dans sa conclusion, l’auteur revient sur ce qu’il avait exclu de sa démarche : la religion et la foi. Il rappelle que l’enquête philosophique n’est qu’un préalable à la quête religieuse. Alors que la croyance en Dieu est un jugement sur la vérité d’une proposition, la foi en Dieu est un acte de confiance dans une personne. S’il y a une connaissance implicite de Dieu en chacun de nous, elle est en général « enfouie sous tant de sédiments que le patient travail de la raison est indispensable à sa mise en lumière ».

Que cette mise en lumière soit possible, voire nécessaire,  l’excellent livre de Frédéric Guillaud le montre. Quant à Diderot, « Lumière pour le 21e siècle », il nous invite à entreprendre cette démarche, « foulant aux pieds le préjugé, la tradition, l’ancienneté, le consentement universel, l’autorité, en un mot tout ce qui subjugue la foule des esprits. »

Malgré les critiques justifiées adressées au criticisme kantien, nous pouvons néanmoins suivre Kant quand il nous exhorte : « Habe Mut dich deines eigenen Verstandes zu bedienen ! »[9] 

C’est peut-être ce courage qui nous est demandé en ces débuts du 21e siècle pour construire avec Dieu l’avenir de l’humanité.   

 

P. Jean-Jacques Flammang scj



[1] cf. Jordan Howard Sobel : Logic and Theism. Arguments For and Against Beleifs in God, Cambridge University Press, 2004, 652 pages. ISBN 978-0-521-82607-5. Voir surtout les pages 115-167. Ou encore : Jacques Courcier OP : La démonstration de l’existence de Dieu chez Gödel in Philippe Capelle-Dumont (éd.) : Dieu en tant que Dieu. La question philosophique, (Philosophie et Théologie), Paris, Cerf, 2012, 289 pages. ISBN 978-2-204-09797-0, pp. 139-150.

[2] cf. Tobias Hüter : Formel von Kurt Gödel. Mathematiker bestätigen Gottesbeweis. Spiegel On-lin Wissenschaft. http://www.spiegel.de/wissenschaft/mensch/formel-von-kurt-goedel-mathematiker-bestaetigen-gottesbeweis-a-920455.html

[3] cf. Tobias Hürter : « Auch wenn seine (= Gottes) Existenz tausendmal bewiesen würde: Gott bleibt Glaubenssache. ». Cela n’est juste qu’en partie, car même si notre foi en Dieu est essentielle, l’existence de Dieu ne dépend pas de notre foi en Lui. Et donc Dieu n’est pas seulement une affaire de croyance ou de foi.

[4] Lorenz B. Puntel : Struktur und Sein. Ein Theorierahmen für eine systematische Philosophie. Tübingen, Mohr Siebeck, 2006, 687 pages. ISBN 987- 3-16-148964-0 et Sein und Gott. Ein systematischer Ansatz in Auseinandersetzung mit M. Heidegger, E. Lévinas und J.-L. Marion, Tübingen, Mohr Siebeck, 2010, 444 pages. ISBN 978-3-16-150146-3.

[5] Wolfgang Smith : Réponse à Stephen Hawking. De la physique à la science-fiction. Préface de Jean-Jacques Flammang. Traduit de l’anglais par Ghislain Chetan (Métaphysique au quotidien), Paris, L’Harmatton, 2013, 95 pages. ISBN : 978-2-434-00466-2.

[6] Cf. Maxence Caron : La Vérité captive. De la Philosophie. Système nouveau de la philosophie et de son histoire passée, présente et à venir, (Théologiques), Paris, Cerf et Ad Solem, 2009, 1120 pages. ISBN 978-2-204-09003-2.

[7] cf. The Blackwell Companion to Natural Theology, edited by William Lane Craig and J.P. Moreland. Oxford, Blackwell Publishing Ltd, 2012, 683 pages. ISBN 978-1-444-35085-2.    

[8] Frédéric Guillaud : Dieu existe. Arguments philosophiques, (La nuit surveillée), Paris, Cerf, 2013, 416 pages. ISBN 978-2-204-09904-2

[9] C’est la devise que suit Christophe Berchem dans son excellente étude : Der in den philosophischen Gottesargumenten enthaltene Tiefsinn. Über die rationale Glaubensbegründung, (Clairefontainer Studien, Band 5), Clairefontaine, Heimat und Mission Verlag, 2005, 160 pages. ISBN 978-2-879-96780-6

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