PETITE HISTOIRE DES EXPULSIONS
Le 26 Juin restera, pour nous, une date historique. Ce jour là,
le délégué du liquidateur se présente,
dès le matin au Sacré-Cur, et reproche au Père
Dehon de n'avoir pas emmené le Père Blancal (1). Le
Père Dehon lui réplique assez vivement et déclare
que M. Blancal ne sortira que s'il est expulsé. I1 ajoute
qu'il n'emmènera M. Blancal, que si on lui donne un écrit
attestant qu'on est décidé à l'expulser et
à l'emmener à l'hôpital. L'huissier hésite
à donner cet écrit. Le Père Dehon lui déclare
qu'il l'exige, faute de quoi, il laissera porter le malade à
l'hôpi-tal. L'huissier consulte son avoué et rapporte
la pièce deman-dée. Le Père Dehon fait alors
conduire le pauvre vieillard à Fayet; l'huissier prend possession
de la grande Maison du Sacré-Cur et du mobilier, tandis
que le Père Dehon se retire dans sa bicoque du jardin, pour
continuer la lutte, sur le terrain légal.
Le 29, les appels de MM. Lobbé et Dupland sont plaidés
en Amiens. Quelques jours plus tard, le liquidateur, faisant le
tour du propriétaire dans « sa » maison, risque
un pas de promenade, en compagnie, dans le jardin... Le Père
Dehon l'aperçoit de son observatoire et me dit, en prenant
son chapeau et le texte de son jugement: « Couvrons-nous !
Vous allez voir!. . Je vais leur donner une leçon!. . »
Et s'approchant, avec moi, du groupe des spoliateurs, il les interpelle
sans préambule, du ton sec. frémissant et sans réplique
qu'il savait adopter, quand il le. fallait:
«Messieurs, de quel droit, je vous prie, vous permettez-vous
d'entrer dans mon jardin ?..
« Mais, Monsieur... «Il n'y a pas de mais
! Je suis ici chez moi. Vous allez sortir à l'instant. J'ai
mon jugement en poche!.. Ne m'obligez pas à vous faire expulser.
»
L'incident était clos ! « Désormais il ne se
reproduira plus, » me dit le Père Dehon presque aussitôt
rasséréné, après le départ de
ces messieurs. Le lendemain, il faisait clôturer d'un mur,
à distance légale, la propriété que
le tribunal lui avait laissée; au-dessus de cet écran,
il dressa une palissade que nous avons pu photographier et portant
en gros caractères, à trois mètres des fenêtres
de la maison spoliée, cet article du Décalogue:
« BIEN D'AUTRUI TU NE PRENDRAS. . .
»
« Ainsi, conclut le Père Dehon, je suis sur qu'aucun
homme du pays n'osera acheter une maison, dont il apprendra que
Monsieur Dehon a été chassé »
Le liquidateur fit publier par voie d'affiches la vente des Maisons,
pour le 22 Décembre 1904. Le Père lui répliqua
par une affiche de protestation d'un ton digne et ferme, qui fut
très appréciée et que le peuple respecta, sur
les murs de Saint-Quentin. Le Vendredi 22 eut lieu la vente. C'était
la station du dépouillement sur le Chemin de la Croix! Pour
l'honneur des Saint-Quentinois, le Sacré-Cur et Saint-Clément
ne trouvèrent pas d'amateurs. C'était à l'heure
des Vêpres, où le Père Dehon relisait, aux psaumes
de ce jour:
(1) Le 13 juin, en labsence du père Dehon, le liquidateur
et le commissaire étaient venus apposer les scellés
et faire linventaire de la Maison de S-C. Ils dirent au Père
Blancal, malade, «Pourquoi êtes-vous ici ? On vous avait
donné quinze jours. Prétendez-vous attendre ici que
la jeunesse revienne ? Le Père eut la présence desprit
de riposter : «Mr Dehon soppose à lapposition
des scellés...!»
«Si ambulavero in medio tribulationis, vivificabis me; et
super iram innimicorum meorum extendisti manum tuam, et salvum me
fecit dextera tua, » « Ne tradas me, Domine, a desiderio
meo peccatori; cogitaverunt contra me, ne derelinquas me, ne forte
exaltentur, » « Custodi me a laqueo quem statuerunt
mihi. . . »
Le docteur Gaudart, ayant mis surenchère sur Fourdrain, et
aucun acheteur ne s'étant présenté, pour le
Sacré-Cur, ni pour Fayet, une nouvelle vente fut fixée
au 2 Février 1905. C'est alors que M. Dehon fit placarder
un « APPEL A LA CONSCIENCE PUBLIQUE », sur les murs
de Saint-Quentin, pour féliciter ses concitoyens de s'être
abstenus de toute surenchère à la vente. En fin de
compte, le Sacré-Coeur fut adjugé au Père Dehon.
. . Saint-Clément, à un ami de M. Legrand; et Fourdrain
fut perdu... mais les bénéfices que le liquidateur
en retira, ne servirent qu'à acquitter les créances
hypothécaires du Sacré-Cur.
« On a fait, comme on dit, une opération blanche. Il
n'en est resté que des miettes, disait S. G. Monseigneur
Landrieux au sujet des spoliations, dans « La leçon
du passé, » mais le coup a réussi ! »
(«LE PERE DEHON ET SON OEUVRE»
page 432/3)
Note 37. Blancal (Germain du St. Sacrement-Bernard),
dehonien. Né à Villemur (Haute Garonne) le 20.11.1826.
Entré chez les Prêtres du S.-Coeur de Toulouse, supérieur
de la maison de Montauban, fut protagoniste d'un procès à
Rome contre son fondateur, le P. Caussette, causant la scission
de l'Institut. Les dissidents avaient demandé de s'unir à
la congrégation du P. Dehon, mais celle-ci, sur les conseils
du P. Eschbach, ne les avait pas acceptés. Le P. Dehon avait
cependant reçu le P. Blancal le 12.3.1888 (ou, suivant le
registre du personnel, en mars 1889). Il avait fait la première
profession le 27.8.1889 (cf. RP, p. 18). C'était un homme
très doué, grand orateur, très habile à
cultiver les rapports humains mais aussi très ambitieux.
Son but était de supplanter le P. Dehon au généralat.
Il entraîna d'autres pères à le suivre, et la
congrégation se trouva au seuil d'une division, évitée
par la patience et la prudence du P. Dehon. Le P. Blancal fut supérieur
de la maison-mère (S.-Coeur) et conseiller général
de 1893 à 1902. Il mourut entre les bras du P. Dehon, à
Fayet, le 1.12.1905.
(NQ1 page 514)
AVANT-PROPOS,
EXERGUE - CAUSES
INTRODUITES
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