(Homélie du Père
Provincial lors des obsèques)
Sur le bureau du Père Blavier j'ai trouvé le livre
du Père Charles : "La Prière de toutes les heures",
je l'ai ouvert à la page où se trouvait le signet
et j'ai lu :
"Lassitude des journées épuisantes quand le corps
fléchit au soir tombant, quand le sommeil obscurcit la pensée
et qu'une grande détresse physique, semblable à une
agonie, nous saisit tout entiers" (P; 47). Depuis plusieurs
mois, le Père Blavier accusait une grande fatigue. Il était
discret sur sa santé, mais certains signes nous laissaient
deviner son épuisement, son essoufflement à certaines
heures. Il était suivi par le docteur mais rien ne laissait
pressentir un dénouement aussi brutal.
Le lundi 16, vers 10 heures, il est sorti, sans doute pour une visite
à un malade ; il s'est senti plus mal en arrivant au métro
de l'Etoile, il s'est assis et c'était fini. Nous apprenions
sa mort peu après. Il nous a quittés sans rien dire,
et il nous laisse consternés, dans une grande souffrance
que nous partageons avec sa famille et ses nombreux amis. Son départ
laisse un grand vide. René Blavier est né à
Laifour dans les Ardennes en 1907. C'est seulement à 28 ans
qu'il choisira d'orienter sa vie vers le don de soi au Seigneur,
dans la vie religieuse et le ministère sacerdotal. Lorsqu'il
entre à Domois en 1935, il a une expérience de la
vie, du travail et des hommes. Il était clerc de notaire.
Il entre au noviciat d'Amiens en 1937 et fera profession religieuse
le 29 septembre 1938.
Mobilisé, il va connaître les premières heures
de la guerre avant de passer six années de captivité
où il se fera de nombreux amis; certains d'entre eux sont
venus ce soir, témoignant ainsi de la profonde amitié
qu'ils ont vécue avec le Père Blavier.
Après ses études de théologie à Uriage,
René Blavier est ordonné prêtre le 4 juillet
1948. Les premières années de son service sont partagées
entre Raon et Lyon. Il est à l'ouverture de Raon, il prépare
la venue du scolasticat d'Uriage à Lyon.
Puis, nous le trouvons à l'ouverture de la Maison de Paris,
au Passage Doisy. Il est économe de la maison dès
1954. Il sera économe provincial de 54 à 72. Après
ce long temps au service de la Province, le Père Blavier
accepte de servir à Amiens comme supérieur de la communauté
de 72 à 79. Malgré le poids des années, il
donne ses dernières forces au service de la communauté
du Passage Doisy en devenant responsable de cette communauté
en novembre 1979.
A chacun sa richesse humaine et sa grâce particulière.
Le Père Blavier était un homme de coeur qui a reçu
la grâce d'être animé par une grande bonté.
Partout où il est passé, il a marqué ceux qui
l'ont connu surtout par sa façon d'être attentif, d'être
présent, de faire plaisir avec une grande disponibilité
de coeur.
Par de petites choses, par des gestes vrais, discrètement,
sans en avoir l'air et surtout sans s'imposer, il avait un art de
dire aux autres quils existent et quils ont une importance.
Sa façon d'être attentif à une fête, à
un anniversaire; sa façon de s'intéresser aux efforts
des autres m'a beaucoup appris sur sa manière de créer
la relation fraternelle. Il avait relevé dans ses notes cette
phrase : "les tâches humbles et gratuites qui manifestent
plus particulièrement l'amour fraternel", on croirait
lire ce que nous dit notre Règle de Vie.
Dans l'Evangile le Christ nous a redit : Je ne suis pas venu pour
être servi mais pour servir. La vie du Père Blavier
se trouve là toute entière : un coeur profondément
humain tout entier au service de ses frères. Sans chercher
à se faire voir, il accomplissait de multiples services domestiques,
il était heureux de le faire discrètement, heureux
lorsqu'il avait pu ainsi contribuer à la bonne marche et
à la joie de la communauté.
A Amiens il se donnait aux travaux de la Procure, à Paris
il travaillait à la Procure des Missions. Jusqu'au bout il
a servi.
Ce qu'il cherchait à travers tout cela, c'était la
vie fraternelle ; avec patience, avec espérance, il a tout
fait pour promouvoir les relations fraternelles. En cela il vivait
en vérité un des aspects les plus importants du témoignage
religieux dans l'esprit du Père Dehon, à savoir :
espérer que la fraternité est possible et y contribuer
jour après jour avec l'amour du Christ et en le suivant dans
sa façon d'être au service de la communion des hommes
entre eux.
Servir, aimer fraternellement tous ses frères, c'est un chemin
exigeant où s'est aventuré notre cher Père
Blavier. Il a voulu imiter les gestes très humains du Christ
Jésus, il a puisé en son Coeur un amour renouvelé
chaque jour, il a vécu une espérance active et patiente.
Sa force, il l'a trouvée dans la prière et dans l'Eucharistie
. Sa fidélité à la prière entraînait
ses frères, et sa façon de célébrer
l'Eucharistie avec un brin de solennité à l'occasion,
témoignait de l'importance qu'elle avait pour lui, et de
sa joie lorsqu'elle rassemblait la communauté, toute la communauté.
C'est ainsi que la vie du Père Blavier m'apparaît,
toute donnée dans la simplicité, dans le quotidien,
dans le concret des moments heureux ou pénibles. Je trouve
ceci dans les textes qu'il aimait :
"Pour rencontrer Dieu, je ne dois pas m'évader de ma
faiblesse humaine, ni faire semblant qu'elle n'existe pas... Pour
ressembler à Jésus je ne dois pas changer les conditions
de mon existence terrestre, je ne dois pas cesser d'être homme.
Parce qu'il a connu réellement nos lassitudes, la fatigue
est devenue chose divine...".
Selon l'esprit du Père Dehon, il a vécu la confiance,
l'abandon, la disponibilité à l'imprévisible
de Dieu, en s'acceptant devant le Seigneur. Il a relevé ce
passage de "Sagesse d'un Pauvre"
"La plus haute activité de l'homme et sa maturité
consistent dans l'acceptation humble et joyeuse de ce qui est, de
tout ce qui est. La profondeur d'un homme est dans sa puissance
d'accueil... Nous voulons toujours ajouter une coudée à
notre taille, d'une manière ou d'une autre. Tel est le but
de la plupart de nos actions. Même lorsque nous pensons travailler
pour le Royaume de Dieu... Jusqu'au jour où nous nous heurtons
à un échec profond, nous découvrons alors qu'il
n'y a de Tout-Puissant que Dieu, et quil Est le seul Saint
et le seul Bon. L'homme qui accepte cette réalité
et qui sen réjouit à fond a trouvé la
paix. Seul l'homme qui accepte Dieu de cette manière est
capable de s'accepter vraiment soi-même. I1 devient libre
de tout vouloir particulier... I1 est entièrement ouvert
à l'action de Dieu qui fait de lui ce qu'il veut, qui le
mène où il veut". (P. 136).
Le Père Blavier a trouvé la paix, il est devenu un
homme "pacifiant". Ce soir, nous accueillons la parole
d'Evangile qui nous est proposée à travers sa vie.
Nous lui sommes reconnaissants de nous avoir aidés à
devenir plus fraternels, plus confiants dans l' Amour du Seigneur,
plus humbles dans le service. Et nous prions le Seigneur d'accueillir
dans sa Paix et dans sa Joie, notre Frère. Qu'il connaisse
maintenant le Coeur du Père en partageant la connaissance
du Fils et la plénitude de son Amour dans la communion de
lEsprit.
Père LECLERC scj
AVANT-PROPOS,
EXERGUE - CAUSES
INTRODUITES
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