Le Petit-Clerc BURDLOFF Jean-Georges
(1919 - 1938)

S’il est un thème rebattu de la littérature contemporaine, c'est bien celui de l’impénétrabilité des âmes individuelles. On côtoie les caractères, on ne les pénètre pas, et la pire des souffrances des âmes délicates c'est de ne pas être comprises et de n'arriver pas à comprendre pleinement l’âme du cher prochain.
Georges Burdloff était né d'un père d'origine russe et d'une mère alsacienne. c'est important pour comprendre ce caractère, porté aux joies exubérantes comme aux subites mélancolies. Comment être étonné de cette inadaptation au réel qui le rendait parfois gauche comme l’Alba-tros de Baudelalre ?
Il nous était venu d'une petite ferme, sise entre Colmar et le Rhin. Il avait appris sur les genoux de sa mère à prier Dieu et à se servir du doux parler alsacien. l’école de sa famille lui avait enseigné la valeur du travail manuel; celle du village lui avait appris cette belle langue française qu'il devait plus tard manier si habilement.
Nous ne savons sous quelle influence providentielle il fut amené à désirer le sacerdoce. Peut-être ne fit-il que participer aux bénédictions que le Bon Dieu répand sur les familles nombreuses vers lesquelles volontiers s'acheminent les recruteurs de congrégation ? N'est-ce pas l’histoire de beaucoup ?
En tout cas, la semence était là, bien enfouie dans les sillons de l’âme, n'attendant, pour croître et porter des fruits, que la pluie et le soleil du Bon Dieu, (le soleil des consolations et la pluie des souffrances).
Les succès scolaires furent d'abord médiocres. Cette petite nature rêveuse et très peu positive ne mordait pas à l'étude du mécanisme; des langues anciennes ou de la combinaison des chiffres. La suite montra que ce n'était pas chez lui incapacité, mais inattention. Il eut bien vite une matière de prédilection: la littérature.
La musique exerçait aussi sur lui une véritable incantation... Sa piété était claire et enfantine, sa conscience toujours bourrelée de remords, poussant l'introspection jusqu'à la manie: l’obéissance à son directeur et la confiance le sauvèrent du scrupule.
Ame délicate, il n'était pas taillé pour la lutte: la contra-diction le blessait, la duplicité l’exaspérait et lui dictait parfois dans la conversation des expressions d'une violence sauvage.
Enfin, le travail de la grâce, secondé par celui de l’éducation, taillait dans cette nature luxuriante quelques belles allées où, je pense, Dieu aimerait à se promener comme il faisait au Paradis terrestre et où les âmes pourraient venir s'abriter des orages de la vie, si toutefois il pouvait arriver au sacerdoce.
L'avant-veille de la Saint-Joseph, un grave accident lui survenait et l’obligeait à prendre le lit: y avait-il eu des impruden-ces comme on en commet à cet âge ? Nul ne pourra le dire. En tout cas la perspective de la mort fut accueillie tout de suite avec plus que de la résignation car elle était pour lui un sujet favori de méditation.
Transporté d'urgence à l'hôpital de Corbeil, il se vit appliquer tous les traitements d'usage et son corps défaillant parut reprendre quelque vigueur.
Ce furent alors de longs mois de fièvre où, selon ses expressions, « il faisait son métier de malade », of-frant ses prières et ses souffrances pour Saint-Clément
et pour les au-tres malades de l’hôpital que la Ré-vérende Mère venait régulièrement lui recommander avec beaucoup de confiance.
A cette période, des vertus éclatèrent en lui, qu'on n'avait pas remarquées dans le train-train ordi-naire de la vie du séminaire: une piété profonde et dévorante, une délicatesse extraordinaire vis-à-vis des autres malades et, qualité raris-sime chez les malades, un esprit de reconnaissance qui surprenait les infirmiers et les soeurs de service.
Le moral fut si bon que le physique s'en améliora. Il put se lever et même venir deux fois à son cher Saint-Clément pour s'unir à nos joies. Déjà de grands projets s'élaboraient dans sa tête, plus ou moins entretenus par son entourage: retourner dans sa chère Alsace, puis chez un oncle dans une ferme perdue des Vosges.. En attendant l’arrivée de ces beaux jours, il s'exerçait à l’apostolat auprès de ses co-chambristes: il avait fort à faire et son directeur de conscience dut bien souvent venir au secours de son apologétique réduite à « quia ». Mais bien mieux que les discussions, les exemples de résignation et de charité qu'il donnait ramenaient peu à peu les âmes à la sympathie, puis à la pratique religieuse.
Mais, des complications survinrent, suivies d'améliorations passagères. Il dut reprendre le lit et même en partie renoncer à la lecture de ses plus chers livres: piété, littérature française et latine (il traduisait « aperto libro » les épîtres d'Horace). Peu à peu ses forces déclinèrent, l'appétit vint à manquer. Une visite de sa chère maman lui rendit un semblant d'énergie, mais lui-même se vit glisser et, de nouveau, se prépara à paraître devant Dieu. Mais, malgré qu'il en eut, le sacrifice lui coûtait plus que la première fois. Sur la fin les complications survinrent qui lui enlevèrent le sentiment du départ et rendirent inutile, hélas, toute intervention de ceux qui l'aimaient. Dieu garde le secret de ses derniers instants de lucidité. Mais pour qui a vu ses merveilleuses dispositions des jours précédents, pour celui surtout qui a reçu ses dernières confidences, il n'y a absolument aucun doute que Georges Burdloff soit un de ceux que Jésus a efficacement rachetés de son sang précieux.
Il avait demandé à prononcer ses vœux de religion. Pour cela, il eût fallu qu'il fût novice. Mais, nous voulons croire que le Bon Dieu lui aura tenu compte de son désir. Une de ses dernières paroles fut celle-ci: « Saint-Clément, c'est ma maison ! et, à le dire, il mettait une solennité qui venait de sa difficulté de prononcer et qui, pour nous, lui donne d'autant plus de valeur.
Il repose en terre bénie, revêtu de la soutanelle blanche des Petits Clercs du Sacré-Cœur, symbole de son âme naïve et pure.
Quand il était à l’hôpital il disait: « Ah ! si je pouvais faire une conférence à mes camarades, je sais bien ce que je leur dirais ! » Oui, Georges, de l’endroit où tu es, parle-leur. Dis-leur que la vie est courte et précieuse, trop courte pour être gâchée, trop précieuse pour n'être pas consacrée tout entière à Celui qui nous l’a donnée.
Que sa famille éplorée sache que Georges vit encore: Georges vit dans notre souvenir, mais bien mieux, Georges vit en Dieu.
«Vita mutatur, non tollitur.»
Henri de Juliot
N.B. Jean-Georges est mort à l’âge de 19 ans. Il avait terminé sa classe de seconde à Saint-Clément de Viry-Châtillon)

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