Sil
est un thème rebattu de la littérature contemporaine,
c'est bien celui de limpénétrabilité
des âmes individuelles. On côtoie les caractères,
on ne les pénètre pas, et la pire des souffrances
des âmes délicates c'est de ne pas être comprises
et de n'arriver pas à comprendre pleinement lâme
du cher prochain.
Georges Burdloff était né d'un père d'origine
russe et d'une mère alsacienne. c'est important pour comprendre
ce caractère, porté aux joies exubérantes comme
aux subites mélancolies. Comment être étonné
de cette inadaptation au réel qui le rendait parfois gauche
comme lAlba-tros de Baudelalre ?
Il nous était venu d'une petite ferme, sise entre Colmar
et le Rhin. Il avait appris sur les genoux de sa mère à
prier Dieu et à se servir du doux parler alsacien. lécole
de sa famille lui avait enseigné la valeur du travail manuel;
celle du village lui avait appris cette belle langue française
qu'il devait plus tard manier si habilement.
Nous ne savons sous quelle influence providentielle il fut amené
à désirer le sacerdoce. Peut-être ne fit-il
que participer aux bénédictions que le Bon Dieu répand
sur les familles nombreuses vers lesquelles volontiers s'acheminent
les recruteurs de congrégation ? N'est-ce pas lhistoire
de beaucoup ?
En tout cas, la semence était là, bien enfouie dans
les sillons de lâme, n'attendant, pour croître
et porter des fruits, que la pluie et le soleil du Bon Dieu, (le
soleil des consolations et la pluie des souffrances).
Les succès scolaires furent d'abord médiocres. Cette
petite nature rêveuse et très peu positive ne mordait
pas à l'étude du mécanisme; des langues anciennes
ou de la combinaison des chiffres. La suite montra que ce n'était
pas chez lui incapacité, mais inattention. Il eut bien vite
une matière de prédilection: la littérature.
La musique exerçait aussi sur lui une véritable incantation...
Sa piété était claire et enfantine, sa conscience
toujours bourrelée de remords, poussant l'introspection jusqu'à
la manie: lobéissance à son directeur et la
confiance le sauvèrent du scrupule.
Ame délicate, il n'était pas taillé pour la
lutte: la contra-diction le blessait, la duplicité lexaspérait
et lui dictait parfois dans la conversation des expressions d'une
violence sauvage.
Enfin, le travail de la grâce, secondé par celui de
léducation, taillait dans cette nature luxuriante quelques
belles allées où, je pense, Dieu aimerait à
se promener comme il faisait au Paradis terrestre et où les
âmes pourraient venir s'abriter des orages de la vie, si toutefois
il pouvait arriver au sacerdoce.
L'avant-veille de la Saint-Joseph, un grave accident lui survenait
et lobligeait à prendre le lit: y avait-il eu des impruden-ces
comme on en commet à cet âge ? Nul ne pourra le dire.
En tout cas la perspective de la mort fut accueillie tout de suite
avec plus que de la résignation car elle était pour
lui un sujet favori de méditation.
Transporté d'urgence à l'hôpital de Corbeil,
il se vit appliquer tous les traitements d'usage et son corps défaillant
parut reprendre quelque vigueur.
Ce furent alors de longs mois de fièvre où, selon
ses expressions, « il faisait son métier de malade
», of-frant ses prières et ses souffrances pour Saint-Clément
et pour les au-tres malades de lhôpital que la Ré-vérende
Mère venait régulièrement lui recommander avec
beaucoup de confiance.
A cette période, des vertus éclatèrent en lui,
qu'on n'avait pas remarquées dans le train-train ordi-naire
de la vie du séminaire: une piété profonde
et dévorante, une délicatesse extraordinaire vis-à-vis
des autres malades et, qualité raris-sime chez les malades,
un esprit de reconnaissance qui surprenait les infirmiers et les
soeurs de service.
Le moral fut si bon que le physique s'en améliora. Il put
se lever et même venir deux fois à son cher Saint-Clément
pour s'unir à nos joies. Déjà de grands projets
s'élaboraient dans sa tête, plus ou moins entretenus
par son entourage: retourner dans sa chère Alsace, puis chez
un oncle dans une ferme perdue des Vosges.. En attendant larrivée
de ces beaux jours, il s'exerçait à lapostolat
auprès de ses co-chambristes: il avait fort à faire
et son directeur de conscience dut bien souvent venir au secours
de son apologétique réduite à « quia
». Mais bien mieux que les discussions, les exemples de résignation
et de charité qu'il donnait ramenaient peu à peu les
âmes à la sympathie, puis à la pratique religieuse.
Mais, des complications survinrent, suivies d'améliorations
passagères. Il dut reprendre le lit et même en partie
renoncer à la lecture de ses plus chers livres: piété,
littérature française et latine (il traduisait «
aperto libro » les épîtres d'Horace). Peu à
peu ses forces déclinèrent, l'appétit vint
à manquer. Une visite de sa chère maman lui rendit
un semblant d'énergie, mais lui-même se vit glisser
et, de nouveau, se prépara à paraître devant
Dieu. Mais, malgré qu'il en eut, le sacrifice lui coûtait
plus que la première fois. Sur la fin les complications survinrent
qui lui enlevèrent le sentiment du départ et rendirent
inutile, hélas, toute intervention de ceux qui l'aimaient.
Dieu garde le secret de ses derniers instants de lucidité.
Mais pour qui a vu ses merveilleuses dispositions des jours précédents,
pour celui surtout qui a reçu ses dernières confidences,
il n'y a absolument aucun doute que Georges Burdloff soit un de
ceux que Jésus a efficacement rachetés de son sang
précieux.
Il avait demandé à prononcer ses vux de religion.
Pour cela, il eût fallu qu'il fût novice. Mais, nous
voulons croire que le Bon Dieu lui aura tenu compte de son désir.
Une de ses dernières paroles fut celle-ci: « Saint-Clément,
c'est ma maison ! et, à le dire, il mettait une solennité
qui venait de sa difficulté de prononcer et qui, pour nous,
lui donne d'autant plus de valeur.
Il repose en terre bénie, revêtu de la soutanelle blanche
des Petits Clercs du Sacré-Cur, symbole de son âme
naïve et pure.
Quand il était à lhôpital il disait: «
Ah ! si je pouvais faire une conférence à mes camarades,
je sais bien ce que je leur dirais ! » Oui, Georges, de lendroit
où tu es, parle-leur. Dis-leur que la vie est courte et précieuse,
trop courte pour être gâchée, trop précieuse
pour n'être pas consacrée tout entière à
Celui qui nous la donnée.
Que sa famille éplorée sache que Georges vit encore:
Georges vit dans notre souvenir, mais bien mieux, Georges vit en
Dieu.
«Vita mutatur, non tollitur.»
Henri de Juliot
N.B. Jean-Georges est mort à lâge de 19 ans.
Il avait terminé sa classe de seconde à Saint-Clément
de Viry-Châtillon)
AVANT-PROPOS,
EXERGUE - CAUSES
INTRODUITES - PETITS-CLERS
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