(Extrait des paroles d'accueil du Père
ABEL lors des obsèques en l'église paroissiale de
Volkrange le 6 mai 80)
Le Père Caret est né à
Ploërmel, dans le Morbihan, le 3 février 1920.
Il reçut au baptême le prénom de Jean-Baptiste,
qui est précisément le titulaire de cette église
qui nous rassemble autour de lui pour un dernier adieu.
A onze ans, après sa communion solennelle, pour répondre
à l'appel de Dieu, il n'hésite pas à s'éloigner
de sa famille de quelques 800 km. afin de commencer le cycle des
études et de la formation qui le mènera au sacerdoce
et à la réalisation de son idéal missionnaire.
Cela paraît incroyable aujourd'hui qu'on ait laissé
partir si loin un enfant de cet âge, d'autant plus que la
longueur du trajet et les ressources très modestes des parents
ne lui permettaient pas plus qu'un retour en famille par an, aux
vacances d'été. Et cela aussi paraît incroyable
de nos jours que sa famille et son curé aient pris au sérieux
la vocation d'un enfant de 11 ans...
Je ne vais pas raconter toute la vie du Père Caret.
Un événement important, extrêmement douloureux,
doit être relevé, parce que le Père en gardera
la marque, la blessure, jusqu'au bout de sa vie et qu'il aide à
comprendre certains de ses traits et de ses penchants. En 1935,
à 15 ans, il perd sa mère. C'était une tendre
maman, une sainte maman, dont la présence l'avait comblé
de bonheur, de sécurité, de confiance en la vie et
dans les autres, et dont l'absence allait le laisser pour toujours
un peu orphelin, un peu seul, un peu abandonné, malgré
toutes les vraies amitiés qu'il connut par la suite...
Oui, je le sais par certaines confidences, cette blessure ne s'est
jamais cicatrisée et l'a fait souffrir jusqu'au bout.
Les longues années de formation du Père Caret se poursuivent,
avec l'interruption de la guerre, où il se trouve mobilisé.
Après un an de noviciat (dans le Puy-de-Dôme), il prononce
ses premiers voeux de religion, le 17 octobre 1942. Puis viennent
les six années de grand séminaire et, enfin, l'ordination
sacerdotale le 4 juillet 1948 (au diocèse de Grenoble).
L'année suivante, donc en 1949, son rêve d'enfant se
réalise pleinement : il s'embarque pour le Cameroun. Il passe
six années à Bamété. Hélas, ce
seront là ses seules, ses trop courtes années de vie
missionnaire. Son très mauvais état de santé
l'oblige à rentrer en France, et c'est un retour définitif.
Il n'a que 35 ans... Vous comprenez combien il a pu cruellement
souffrir de devoir renoncer si tôt à ce qui avait été
le but de sa vie... Vous imaginez facilement les effets, dans son
esprit, dans son corps même, de cette brisure, de cet échec,
aggravant encore le sentiment d'abandon, de solitude, de vide, dans
lequel l'avait laissé le décès de sa très
chère maman.
Rentré en France, le Père doit se soumettre à
des soins prolongés, se résigner à un repos
dont il croit qu'il ne verra jamais la fin. Progressivement, il
pourra reprendre du service dans différentes communautés.
C'est en mars 1965 qu'il arrive à Volkrange. Très
vite, très facilement, lui, le Breton, s'adapte à
notre Lorraine et se trouve en sympathie avec nos populations. Il
aimait notre agglomération, nos gens ; il vous estimait,
il vous aimait, vous le savez... Jamais il n'envisagea de quitter
Volkrange, il voulait y rester jusqu'au bout de sa vie et reposer
enfin dans notre cimetière, à côté des
deux confrères qui l'ont précédé (le
Fr. Bertrand et le P. Delvigne), à l'ombre de notre église,
de "son" église St Jean-Baptiste.
Souvenez-vous : la veille de son entrée à l'hôpital,
le Jeudi Saint, il tint à venir célébrer ici
avec nous la Cène du Seigneur. Il commençait à
éprouver une gêne à marcher. Il aurait voulu
concélébrer avec moi, mais la station debout prolongée
lui aurait été pénible.
Le lendemain, Vendredi Saint, je l'accompagnais à l'hôpital
pour y subir des examens qui ne paraissaient pas, selon les premiers
tests, devoir révéler un mal sérieux. Il était
même autorisé à sortir pour fêter Pâques
en communauté : il semblait en pleine forme. C'est quelques
jours après son retour à l'hôpital que se manifestèrent
les premiers symptômes du mal qui devait l'emporter si rapidement.
Il a supporté sa maladie, il a fait l'offrande de sa vie
dans l'esprit de notre congrégation, selon la ligne qu'il
avait choisie 38 ans plus tôt lors de ses premiers voeux,
c'est-à-dire en esprit d'amour et d'oblation, de soumission
et d'abandon à la volonté de Dieu, de partage aux
souffrances du Christ dans son corps qui est l'Eglise... "Oh,
maintenant, je suis content; maintenant, je suis heureux !",
me répétait-il quand je lui eus fait l'onction des
malades dans sa chambre d'hôpital. Il m'avait recommandé
que ce sacrement lui fût donné simplement, "sans
tralala". Oui, c'est l'expression qu'il employa, et vous l'y
reconnaissez bien tel qu'il était. Jamais, et surtout quand
il sagissait dactions importantes et graves, il na
aimé le tralala : "surtout pas de tralala".
Ce qui caractérisait le Père Jean, c'était
bien ça : sa modestie innée, son humilité naturelle,
sa disponibilité aux tâches les plus serviles, les
plus obscures. C'était encore davantage son coeur capable
des délicatesses les plus imprévues, les plus menues,
les plus touchantes. En 1973, nous fêtions ses 25 ans de sacerdoce.
En souvenir de ce jubilé, il nous laissait une image portant
cette devise : "Vivre, c'est aimer"... Alors, nous pouvons
affirmer que le Père Jean a vécu grandement, qu'il
a vécu en plénitude, parce qu'il a beaucoup aimé.
Mes frères, vous avez connu et apprécié les
qualités du Père Jean. Vous avez aussi connu la pénible
infirmité dont il a été longtemps affligé.
Vous voyez ce que je veux dire. Vous comprendrez aussi que les deux
événements que j'ai rappelés, l'absence trop
prématurée d'un amour maternel et l'échec de
son projet de vie missionnaire, expliquent cette période
de faiblesse qu'il traversa.
Malgré cette infirmité, ou plutôt à cause
d'elle, parce qu'il s'agissait d'un homme en souffrance, parce qu'il
s'agissait d'un prêtre dans l'épreuve, vous lui avez
maintenu votre amitié. Avec beaucoup de compréhension,
vous l'avez aidé et soutenu. Je veux vous en remercier, plus
exactement être l'écho de son merci. Je vous dois ce
témoignage : le secours de votre amitié, le respect
que vous lui avez conservé dans son épreuve, ont grandement
contribué à lui redonner la confiance en lui-même
nécessaire pour surmonter cette infirmité définitivement
depuis bientôt 6 ans.
J'ai parlé de la modestie du Père. Même guéri
de son infirmité, il en parlait avec une simplicité
désarmante, une simplicité et une vérité
d'enfant. Lui qui était si peu porté à se vanter,
à faire le malin, me faisait chaque fois penser, lorsqu'il
évoquait cette malheureuse période de sa vie , aux
paroles de St Paul aux Corinthiens : "S' il faut se vanter,
c'est de ma faiblesse que je me vanterai... Le Seigneur m'a déclaré
: "Ma puissance se déploie dans la faiblesse".
Père ABEL Jean-Marie scj
AVANT-PROPOS,
EXERGUE - CAUSES
INTRODUITES
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