FRERE CRÉPIN PAUL
(1893 - 1918)
Né le 03.04.1893 à St-Quentin (02)
Profès le 23.09.1910 à Manage (Belg)
Décès le 28.06.1918 à Fosse-là-Haut (Oise)
Frère Clerc.

La guerre ne devait pas se terminer sans réclamer encore une autre victime. Le 28 juin 1918, à la contre-offensive Mangin, aurore de la victoire définitive, Fr. Crépin tombait à quelques kilomètres de Soissons. Sa conduite vraiment héroïque pendant cette guerre et sa mort prématurée à 24 ans effaceront certainement à jamais et substitueront dans nos cœurs le souvenir des étourderies communes à l'adolescence.
Fr. Crépin était de S. Quentin. Il perdit fort jeune sa mère, puis son père. Nouvelle excuse à ce que sa formation première a pu avoir de défectueux Il fit ses études au Manage, puis à Mons, son noviciat et ses premiers vœux, au Manage, sa philosophie à Louvain. En 1913, sur le conseil de ses supérieurs, il devance l'appel militaire et s'engage au 5° Dragons, à Compiègne.
Là, il est victime d'un terrible accident de cheval qui faillit lui coûter la vie. Juste devant le château, sa monture glisse sur le pavé. Fr. Crépin tombe sur la tête, et est emporté sans connaissance à l'hôpital. Heureusement il se rétablit vite.
L'esprit religieux de Fr. Crépin ne fit que se purifier et s'accroître au milieu des difficultés et des périls de la caserne. On sait combien sont longues et pénibles les journées d'un jeune cavalier. Levé de grand matin, hiver comme été, il n'est libre que le soir. Cela n'empêchait pas Fr. Crépin de rester à jeun des journées entières afin de faire la Sainte Communion. C'est dans ces sentiments de générosité que le trouva la guerre.
La confiance de ses chefs l'avait appelé aux fonctions de secrétaire à l'Etat-Major. Embusqué, dans la cavalerie: perspective séduisante pour beaucoup et dont bien peu se laisseraient dépouiller sans regrets. Cet état d'esprit était trop mesquin pour satisfaire une âme surnaturelle comme la sienne. Dès 1916, en pleine bataille de Verdun, spontanément, malgré les instances de ses chefs qui ne peuvent se décider à le quitter, qui font miroiter à ses yeux pour le retenir les galons d'argent de sous-officier, il demande à passer dans l'arme obscure et sacrifiée: l'infanterie.
Quel pouvait être le mobile d'une pareille détermination? Il l'écrivit à l'un d'entre nous à cette époque: il ne pouvait supporter d'être à l'ombre et au repos pendant que sa ville natale était envahie. Qu'on relise à ce sujet ce que nous disions de lui dans le n° 3 du Cor Unum de 1917 (1). Qui le croirait ? Sa modestie en fut alarmée et il fut sur le point de se fâcher des compliments, pourtant discrets, qu'il faisait tout pour éviter.
Le voilà donc caporal au 26e R. I., un régiment d'élite (2). Il passe vite sergent, malgré de nobles hésitations qui l'en rendent doublement digne; fait, en qualité de sous-officier, la rude et longue bataille
de la Somme en 1916, puis celle de l'Aisne, au printemps 1917, où il fut cité et promu sous-lieutenant. La citation, qu'il ne consentit jamais à nous livrer en entier, parlait de son sang-froid, de son dévouement, de son courage et se terminait ainsi: « a été un auxiliaire précieux pour son chef de bataillon. » (Cor Unum, n° 6, 1917).
Ce ne fut pas sans une véritable anxiété qu'il accepta la lourde charge et la terrible responsabilité d'officier; mais, dès qu'il le fut, les qualités militaires et morales qui l'avaient distingué dès le début ne firent qu'augmenter, et les missions délicates qui lui avaient été déjà confiées auparavant se multiplièrent à la satisfaction générale. Qu'on relise encore son petit mot discret dans le n° 8 du Cor Unum, 1917. Il y parle « d'une violente alerte par gaz où il eut le bonheur et le mérite par sa fermeté et ses sages dispositions d'épargner toute perte à sa section et de la maintenir sur ses positions. »
Au mois de décembre 1917, un de nos Pères, étant lui-même sur le front de Lorraine, eut le plaisir de le revoir pour la première fois depuis quatre ans, et la dernière, hélas! Il était toujours jeune et souriant, tel que nous l'avions connu, une petite pointe de sérieux et de modestie rehaussant encore ses qualités militaires, affirmées par tous ses chefs, tous ses camarades, tous ses hommes, et ses qualités religieuses, affirmées par son aumônier.
En janvier 1918, son régiment fut envoyé à Verdun, toujours redoutable par ses bombardements, ses gaz. Comme partout, il y fit bravement son devoir, donnant à tous l'exemple d'une abnégation et d'une générosité héroïque.
Gravement incommodé par les gaz, il fut obligé de se laisser évacuer. Le 15 mars, il sort de l'ambulance, incomplètement guéri, remonte en ligne le 16, pour le bon exemple, écrivait-il, et malgré l'ordre reçu. Il arrive juste à temps pour y recevoir une violente attaque, où il échappe de nouveau à la mort, comme par miracle. Il se joint alors à quelques hommes d'une autre unité et, à leur tête, reprend la tranchée envahie. Il est de nouveau intoxiqué et envoyé au repos. (Cor Unum N°5, 1918)
Naturellement ces rares confidences n'étaient faites que sous le sceau du secret et il se fâchait presque quand on parlait de lui. Ce n'était pourtant pas un boudeur: il était très aimable et donnait souvent de ses nouvelles.
Puis vinrent les grandes attaques de 1918. Son régiment fut envoyé à Soissons pour couvrir la retraite et défendre ce point d'appui naturel.
Inquiet de ne plus recevoir de ses nouvelles, nous écrivîmes à son aumônier qui nous confirma, hélas ! les bruits de sa mort qui commençaient à courir.
Il tomba bravement, comme il avait vécu, le 28 juin 1918, veille de la fête de S. Paul, son patron. Il fut pieusement inhumé au cimetière de Hautefontaine, le 1er juillet, à quelques kilomètres de Soissons, dans cette Picardie pour laquelle il était passé volontairement dans l'infanterie. Ainsi Dieu avait exaucé son vœu héroïque. Il l'avait pris, selon l'expression de la Sagesse, pour que la malice du siècle n'altérât point sa conscience encore jeune. Du haut du ciel, il a dû se réjouir en voyant si tôt et si brillamment son sacrifice récompensé; copiosa redemtio.
Voici sa dernière lettre écrite trois semaines avant sa mort au T. R. P. Général. On y sent, dit ce dernier, le caractère viril et fort qu'il avait atteint dans les derniers temps, une âme que Dieu préparait pour un sacrifice héroïque.
Très Bon Père,
« Vous m'excuserez d'avoir tant tardé à vous répondre J'ai reçu votre carte au cours d'interminables déplacements à pieds, par chemins de fer, camions, etc., pour nous rapprocher du théâtre des grands combats. Nous ne sommes pas encore engagés, mais nous sommes prêts à toute éventualité. Nous attendons de pied ferme. J'espère que, comme partout où nous nous sommes trouvés, tout se passera très bien. Pour ne pas perdre de temps, nous travaillons la nuit, et le jour nous nous reposons sous la tente... à moins que nous n'ayons à faire quelque reconnaissance.
Il m'est absolument impossible d'aller vous voir à Paray. Seuls, les gens de l'arrière peuvent avoir des permissions. Quant à nous, notre place est là où veut passer l'envahisseur, et aucun de nous d'ailleurs ne voudrait s'y soustraire. La guerre est longue, mais je suis heureux de constater à quel degré d'élévation s'est maintenu le moral de l'armée. Que Dieu nous aide et nous aurons la victoire !
Donnons, pour terminer, le témoignage de l'aumônier de son régiment et une lettre de son propre Chef de Bataillon à sa sœur, témoignages qui montrent que nous n'avons pas exagéré quand nous avons dit qu'il était aimé et regretté de tous.
Lettre de l'aumônier du.26° R. I.
« Je rentre de quatre mois et demi d'hôpital et de convalescence, et malheureusement je n'ai aucun détail sur la mort de ce pauvre lieutenant Crépin. Naturellement, il avait fait ses Pâques. Il est monté à l'attaque le 28 juin, entraînant, comme toujours sa section. En arrivant à une crête, il a reçu une balle qui l'a traversé de part en part. Il a encore eu le courage de faire quelques pas et est tombé. Son aumônier de bataillon ayant été tué depuis, je ne sais rien de plus. Mais tous ici l'estimaient comme un officier brave et très digne et comme un vrai chrétien. »
Martin, 26 R. I.

Lettre de son commandant à sa sœur
Mademoiselle,
« J'aurais voulu que vous voyiez ce matin les officiers du 2e Bataillon du 26e R. I. pleurer alors que je leur lisais la citation à l'ordre de l'armée (la plus haute), rédigée en faveur de votre frère, le lieutenant Crépin (l); vous vous rendriez compte alors que je n'exagère pas en lisant que la perte de ce cher camarade a été pour nous un véritable déchirement.
« Crépin était parti à l'attaque le 28 juin, à 5 heures du matin, à la tête de sa section. Entraîné par sa bravoure coutumière, il arriva le premier sur la position. C'est alors qu'une balle le frappa en pleine poitrine: il était mort! Mort pour la France, dans l'attitude la plus noble du jeune officier français; mais la position, grâce à lui, était conquise.
« Pourquoi faut-il que toute action militaire, si réussie soit-elle, entraîne toujours la perte des meilleurs d'entre nous ? Car Crépin était bien parmi les plus jolies natures que j'ai eues sous mes ordres: d'une douceur toujours égale, d'une délicatesse charmante en même temps que d'une bravoure de preux. Votre cher frère possédait aussi cette foi profondément ancrée qui fait les forts, les héros.
« Puisse l'assurance que je vous donne, Mademoiselle, de la vie vertueuse et digne, de la piété virile et sincère de votre frère, vous être une consolation dans le malheur immense qui vous frappe. Je sais que pour une âme chrétienne, là est le seul adoucissement à la douleur.
« Votre frère, Mademoiselle, repose dans un cimetière à l'abri des bombardements. Nous avons pu, nous, ses frères d'armes, lui faire hier des obsèques solennelles. Le colonel M. a prononcé quelques paroles sur sa tombe, lui adressant en notre nom à tous le suprême à Dieu, nous le donnant en exemple à nous et à nos hommes.—Jusque dans la mort, il aura servi sa Patrie qu'il aimait tant. Et croyez bien, Mademoiselle, que notre prestige à nous autres officiers sur nos hommes, est fait du sacrifice de tous ces nobles jeunes gens qui se donnent sans compter.
Aussi soyez sûre, Mademoiselle, que le souvenir de votre frère n'est pas près de s'effacer de la mémoire des officiers du 26 R. I, et que je suis leur interprète à tous en vous adressant en leur nom l'assurance de notre sympathie respectueuse et profondément attristée.
« Commandant D. 2° Bn. du 26° R. I. »

(1) Le 20 septembre 1918, en pleine victoire, le général Mangin citait à l'ordre de la 10e Armée le Lieutenant Crépin en ces termes:
« Jeune officier convaincu et ardent, venu comme simple soldat et sur sa demande de la cavalerie, a mené vigoureusement sa section à l'attaque, et, ayant été atteint de plusieurs balles de mitrailleuses, a eu l'énergie de se porter au-delà de l'objectif pour y entraîner ses hommes et assurer ainsi le gain de la position où il est tombé.»

-Un récent décret confère la Croix de la Légion d'Honneur aux lieutenant Rattaire et Crépin.

Qu'il aimât toujours sa chère famille religieuse, qui oserait en douter ? Maints passages de ses nombreuses lettres en font foi. Nous citons au hasard:
« Très Bon Père, Je viens de recevoir aujourd'hui votre lettre du 6. Mieux vaut tard que jamais! Si elle n'est pas arrivée en son temps, combien elle me procure de joie maintenant que je suis en contact avec l'ennemi et que je me trouve isolé de tout le monde connu. »
Une autre fois:
« Que font tous nos scolastiques ? Que deviennent nos maisons de Belgique ?—C'était en août 1914.— Je m'y intéresse toujours beaucoup. Et vous-même que devenez-vous ? Quels soucis ne devez-vous pas avoir pour toute votre œuvre !
Je vous reste profondément uni in C. J. »
Au Supérieur de Bologne, le seul à peu près avec qui on put correspondre pendant deux ans:
« Bien Cher Père, Je me permets de vous envoyer quelques mots pour vous demander des nouvelles de notre chère Société... Que reste-t-il de notre maison de Louvain ?... J'espère bien d'ici quelque temps—on était en décembre 1914 !—y aller moi-même m'en assurer et venger les dégâts qui y auraient été commis, ainsi qu'à S. Quentin. »
Au même, en mars 1915.
« Permettez-moi de vous envoyer quelques lignes pour vous recommander encore une fois de ne pas oublier, dans vos rapports avec le R. P. Général, de lui présenter mes respects et de lui donner de mes nouvelles... Donnez-moi vous-même beaucoup, beaucoup de nouvelles de toute sorte et, par dessus tout, priez un peu pour moi comme je le fais pour vous et pour tous ceux de notre chère Congrégation que la guerre a dispersés. »
Enfin, voici une lettre où l'on pourra constater une fois de plus la haute idée qu'il se faisait de sa situation d'officier et de ses devoirs:
28 janvier 1918. Très Bon Père,
« J'ai appris avec joie votre retour des pays envahis, aussi je vous envoie à cette occasion mes plus vives félicitations.
A mon tour de vous donner quelques nouvelles. J'aurais bien voulu le faire plus tôt, mais, dans l'armée, on ne fait pas toujours ce qu'on veut.
Nous avons dû, en effet, nous déplacer à plusieurs reprises pour venir prendre possession d'un secteur fameux (1), d'où je vous trace ces quelques lignes.
A vrai dire, il faut avoir la volonté d'écrire pour le faire.
Nous ne trouvons ici aucune tranchée, mais seulement des trous d'obus pleins d'eau, dans un bois célèbre dont il ne reste plus que quelques misérables souches que les obus n'ont pas voulu déterrer.
Autour de nous, rien que dévastation. Je ne puis découvrir deux mètres de terrain qui n'ait été bouleversé; cadavres déjà anciens que je me fais un devoir de faire enterrer. Non loin de nous, le Boche. Tout cela me donne sujet à de profondes méditations. Vous ne me reconnaîtriez plus; la guerre m'a bien changé... Je suis heureux d'appartenir à un corps qui n'admet pas la fraternisation, et je suis fier d'avoir été appelé, car je ne l'ai pas voulu, à inculquer mes sentiments à quelques dizaines de poilus. Je ne cours pas plus de risques pour cela, l'expérience le confirme, et puis je crois que je suis protégé d'une manière particulière.
La guerre aussi m'a fait connaître la vie, et ce qu'est la vie, en présence de la mort.
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(1) Verdun
En dehors de ces quelques heures de méditations, j'oublie tout pour égayer un peu mes poilus. C'est un bel apostolat que celui-là après plus de trois ans de guerre. Vous pouvez être sûr que j'aurai fait mon devoir.
Je vous quitte à regret; c'est le service qui me réclame. Mais quand pourrai-je jamais vous revoir ? »
(EXTRAIT DE «QUELQUES PRETRES DU SACRE-COEUR
DE St-QUENTIN, MORTS AU CHAMP D’HONNEUR.
(1914-1918) »)

AVANT-PROPOS, EXERGUE - CAUSES INTRODUITES