Tandis que le scolasticat finissait
de rassembler ses membres dispersés et se réjouissait
du retour de ses prisonniers, nous apprenions la nouvelle du décès
du Père Marie-Bénigne Duchossois.
Il navait pas commencé sa quatrième année
de théologie et, de ce fait, aurait dû se trouver parmi
nous. Aujourdhui quil nous a quittés définitivement,
nous joignons son nom au groupe des nôtres, qui, en ce mois
de novembre, simposent plus particulièrement à
notre souvenir et à nos prières.
Né à Reichshoffen le 18 avril 1914, le père
Duchossois appartenait à une de ces familles terriennes qui
ont su conserver toute leur vitalité aux traditions chrétiennes.
Et cest, sans doute, dans cette double qualité
chrétienne et terrienne du climat de famille quil
a puisé le sens aigu du sérieux de la vie, qui donna
bientôt à son caractère maturité et gravité.
Très discret pour ce qui le concernait, le père ne
nous a guère communiqué ses souvenirs denfance.
Mais, quand on ly engageait, il évoquait volontiers
sa province dorigine, prenant un plaisir non dissimulé
à faire revivre en conversation les coutumes et les fêtes
locales avec leur double caractère : religieux et familial.
A lentendre, on sentait combien son âme sétait
épanouie dans cette atmosphère de piété
religieuse et dintimité familiale qui avait rendu son
âme délicate et sensible.
Après un séjour de quelque temps au collège
des Missions de Haguenau, il se sentit appelé par le Sacré-Coeur
et alla terminer ses études à Domois avant dentrer
au noviciat. Le 29 septembre 1936 il émettait ses premiers
voeux. Connaissant la parfaite droiture de son âme, lon
soupçonne un peu la jeune ferveur quil dut mettre dans
sa profession religieuse à laquelle désormais il restera
fidèle.
Puis le frère Marie-Bénigne fut envoyé à
Lille pour y étudier la philosophie. En 1938, le service
militaire le réclama. Il fut surpris par la guerre alors
quil se préparait à reprendre ses études.
Fait prisonnier en 1940, il fut libéré quelques semaines
après, en raison de ses origines alsaciennes et passa plusieurs
mois dans notre maison de Fribourg en Brisgau. Mais il avait hâte
de retrouver sa province et il se risqua à passer la frontière
et la ligne de démarcation, pour arriver à St-Cirgues
la veille de Noël 1941. Et, sans tarder, il se mit à
létude de la théologie : effort méritoire
de sa part, puisquil était sujet à dincessantes
névralgies et à de fréquentes insomnies, ce
qui lui rendait les études assez pénibles. Il en laissa
échapper laveu, un jour, et plus dun dentre
nous en fut étonné.
Mais il avait hâte darriver au sacerdoce. Sans connaître
son orientation exacte en apostolat, nous savons quil avait
une âme dapôtre et quil lui tardait dexercer
son zèle auprès des âmes. Déjà
au scolasticat, il concrétisait ses soucis apostoliques par
une charité active et prévenante ainsi que par un
dévouement de tous les instants. A lobserver, on se
rendait compte quil était préoccupé dexploiter
au maximum ses années de formation : son ardeur à
létude, malgré les difficultés rencontrées,
en témoigne. Exemplaire par sa piété et son
sens de la règle, il a laissé parmi nous le souvenir
dune vie toute consacrée à Dieu.
Progressivement il sachemine vers le sacerdoce par la réception
des ordres mineurs. Les émotions ne lui manquèrent
pas en sa troisième année de théologie. Une
erreur de transcription sur lindult retarde son ordination
au sous-diaconat. Enfin, les bouleversements des derniers mois linvitaient
à entrer lui aussi dans le sacrifice. Son âme délicate
dut ressentir vivement labsence des parents et amis. La gravité
des événements en cours, la sobriété
des cérémonies, le dépouillement du décor
lordination eut lieu au monastère de la Visitation
tout, finalement, dut contribuer à rendre la joie
plus intérieure et plus silencieuse. Le père chanta
sa première messe solennelle au scolasticat de St-Cirgues.
Deux mois après son ordination, il se sentit fatigué;
mais, par timidité den dit rien. Cette timidité
le caractérise bien. Cest elle qui lui faisait prendre
parfois des attitudes qui cachaient son excellent coeur. Personne
ne sy trompait, dailleurs. Au surplus, il y joignait
une extrême délicatesse de sentiments à légard
de tous ses frères et lallure simple de ses conversations
lui donnait accès auprès de tous.
Son mal lobligea bientôt à saliter. Cétait
le 8 septembre. Il ne devait plus guère se relever. Longtemps
les médecins cherchèrent la nature exacte de la maladie
sans pouvoir porter de diagnostic sûr. Quand enfin une pleurésie
se déclara ouvertement. Il ne sen remit que lentement
et pour être attaqué par la tuberculose. A part les
moments de fièvre où les maux de tête le tenaillaient,
il ne souffrit pas physiquement. Mais il dut lutter pour se faire
peu à peu à linactivité. A son coeur
de jeune prêtre, la privation de la messe et de loffice
était particulièrement pénible.
Dautres souffrances lattendaient. Longtemps sans nouvelles
de sa famille, il reçut un jour la visite de son frère
qui lui apprit les épreuves des siens.
Etant sorti dune cave où il sétait réfugié
pendant quon se battait dans la région, son père
fut blessé par les allemands et emmené de force. On
demeura sans nouvelles de lui. Quelques mois après il revint,
mais infirme pour la vie. La foi robuste de ses parents consola
le père.
Malgré les soins quon lui prodigua, notre malade ne
retrouva pas ses forces et, au mois daoût dernier, on
dut le confier aux religieuses du Temple, à Limoges.
Déjà on était inquiet sur lissue de sa
maladie car laffaiblissement le minait de plus en plus. Malgré
tout, il saccrocha fermement à lespoir de guérir.
Mais il dut finalement se rendre à lévidence.
Un père Franciscain le prépara à l«In
Paradisum». Le malade reçut lextrême onction
en toute lucidité et avec piété. Un soir, on
le vit presque à bout et deux religieuses furent chargées
de la veiller. Vers 4 heures du matin on saperçut que
ses derniers moments étaient arrivés. Il séteignit
très doucement tandis que près de lui on récitait
les prières des agonisants.
Ses funérailles furent simples et recueillies comme sa vie.
Lassistance était composée presque exclusivement
de prêtres et de religieuses. Jusque dans la mort, il sera
resté dans le cadre de piété qui avait protégé
son enfance et nourri son âme.
En lui nous perdons un confrère dont la vie simple et profondément
religieuse nous est un exemple. La Providence ne lui a pas permis
dexercer son zèle apostolique, mais le sacrifice continuel
des derniers mois de sa vie nest-il pas un apostolat éminemment
sacerdotal, digne dêtre associé au sacrifice
quil eut le bonheur, quelque temps au moins, doffrir
à lautel.
(Extrait de «VIBRER N°13 juil.
44)
UNE ORDINATION DE GUERRE AU SCOLASTICAT
Ce trimestre (à St-Cirgues) a été un peu plus
mouvementé que dhabitude, tout au moins pour les ordinands
auxquels le chroniqueur prête sa plume pour quelques instants:
«Lordination au diaconat devait avoir lieu à
Issoire, le samedi 3 Juin, veille de la Trinité, au cours
d'un Congrès eucharistique dans cette ville. Dès le
lundi de la Pentecôte, on annonce que lordination naurait
pas lieu, l'évêque du diocèse étant contraint
à une absence plus ou moins prolongée. Serait-ce partie
remise? Heureusement non! Le même 3 Juin auront lieu au Puy
des ordinations solennelles auxquelles nous pourrons participer.
Après bien des difficultés de voyage, quatre d'entre
nous reçoivent, en la cathédrale du Puy, de son Ex.
Mgr Martin, le diaconat, et le cinquième, c.à.d. le
Fr. Duchossois dont l'Indult est enfin arrivé, le sous-diaconat,
qui sera suivi du diaconat conféré le jeudi suivant
à St-Flour par Mgr Pinson. A cotte occasion, son Ex. Mgr
Pinson propose lui-même au R.P. Provincial de venir lui-même
à St-Cirgues le 18 juin, y conférer les ordinations
sacerdotales. Mais à peine le Fr. Duchossois est-il de retour
à St Cirgues pour annoncer cette heureuse nouvelle, que lon
apprend l'interdiction de circuler en voiture motorisée.
Déception? peut-être, mais pas complète.
«Nous partirons nous-mêmes pour Neussargues, en bicyclette,
puisque les communications ferroviaires sont coupées, et
de là, si c'est nécessaire, nous pousserons même
jusquà St Flour. C'est ce qui fut fait: le 17 juin
au soir, nous étions reçus, le R.P. Provincial et
les ordinands, au séminaire de cette ville ou nous passâmes
la nuit. Et le lendemain 18 juin à 8 heures, en la chapelle
de la Visitation de cette ville, Mgr Pinson nous conférait
le sacerdoce. Tout était de qualité: et le jour qui
était le dimanche dans l'octave du Sacré-Coeur, et
la chapelle qui nous rappelait Paray-le-Monial. Dans une chaleureuse
et paternelle allocution que son Excellence adressa aux cinq nouveaux
prêtres au terme de la cérémonie. Elle leur
dit sa Joie d'avoir été l'instrument de l'Esprit-Saint,
et les assura de l'intention toute spéciale et bien significative
du Sacré-Coeur qui leur avait fait son plus grand don d'amitié
dans léloignement absolu de tout soutien terrestre,
parents et frères religieux, et l'intime et fervente atmosphère
d'une communauté de Visitandines pendant loctave qui
lui est consacrée.
«Nous prîmes petit déjeuner et déjeuner
au parloir de la Visitation, autour de Son Excellence qui fut remerciée
par l'un d'entre nous, pour l'extrême bienveillance qu'elle
avait témoignée aux prêtres du Sacré-Coeur
et pour la délicatesse prévenante et la grande bonté
avec lesquelles elle avait bien voulu non seulement nous recevoir,
mais nous inviter dans sa ville épiscopale. L'accueil empressé
inspiré par une sympathie si spéciale de la Rde Mère
Supérieure de la Visitation méritait bien que quelqu'autre
d'entre nous lui présentât tous nos remerciements.
I1 sut bien lui dire à quel point nous voulions apprécier
la ferveur des prières de toute sa communauté pour
ceux quelle disait un peu ses prêtres, et l'union spirituelle
qui dès lors plus que par le passé, nous attacherait
à cette Visitation de laquelle le Très Bon Père
nous a rendus tributaires et dont la spiritualité est si
proche de la nôtre. Le soir même du 18, nous quittions
St-Flour, prêtres pour léternité, enchantés
de la charité et de la ferveur spirituelle qui nous avaient
entourés et que nous avions vécues ce matin, intimidés
et ébahis du pouvoir sacerdotal, dont nos âmes venaient
dêtre investies.»
Pendant que les ordinands préparaient leurs âmes au
sacerdoce et recevaient ce sacerdoce, nous célébrions
à St-Cirgues, dans le recueillement, la fête du Sacré-Coeur,
et assurions le dimanche suivant, service liturgique et chants religieux
de la procession du T.S. Sacrement de la paroisse. Et le lendemain
ainsi que les jours suivants, malgré la chaleur dété
et l'incertitude des temps, nous donnions le coup de grâce
à lannée scolaire 43-44, par les examens écrits
et oraux de fin d'année.
A l'aube du mercredi, nous arrivèrent de Neussargues le R.P.
Salin et les postulants, qui désiraient prendre contact avec
leurs aînés et se réjouir avec eux, avant de
senfoncer dans le silence du noviciat. La journée du
jeudi fut consacrée à dissiper toutes nos réminiscences
théologiques et à préparer la maison pour la
fête du lendemain. Les nouveaux prêtres arrivèrent
à 19 heures, les visages noircis par la poussière
et la sueur: ils avaient fait 80 km à bicyclette, mais l'âme
joyeuse et rayonnante, pour apporter à la communauté
leur bénédiction sacerdotale.
La fête des prémices sacerdotales na peut-être
pas eu tout l'éclat extérieur de celles du passé,
mais elle en eut certes toute la ferveur familiale et fraternelle;
plus que par le passé, semblait-il, presque toute la communauté
se réjouissait avec les nouveaux prêtres, tant elle
avait participé à leurs incertitudes et à leurs
inquiétudes.
Au repas du soir, le R.P. Recteur souligna la reconnaissance que
nous devions au Sacré-Coeur et à la Sainte Vierge
pour cette année que, malgré les événements,
nous avons pu passer dans le calme et couronner par cette belle
journée des prémices sacerdotales. De loin, il remercia
aussi Son Excellence Mgr de St-Flour, le T.R.P. Provincial et le
R.P. Legay, et termina par un mot paternel à l'adresse des
nouveaux prêtres.
Dès le lendemain, les postulants prirent la route de Busséol
et toute la communauté, sauf les prêtres de quatrième
année qui passèrent dans la journée leur examen
de juridiction, s'engagea dans les mystères des grandes vacances
avec l'espoir de les clôturer sous un ciel moins noir et sur
une terre plus paisible.
(Extrait de «VIBRER» N° 18
oct. 45 page 23)
AVANT-PROPOS,
EXERGUE - CAUSES
INTRODUITES
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