Le Père DUCHOSSOIS Albert (Bénigne)
(1914 - 1945)
Né le 18.04.1914 à Reichshoffen (Alsace)
Profès le 29.09.1936 Amiens
Perpétuelle le 06.04.1944 à St-Cirgues
Prêtre 18.06.1944 St Flour (Cantal)
Décès le 06.10.1945 à Limoges (H-V)

Tandis que le scolasticat finissait de rassembler ses membres dispersés et se réjouissait du retour de ses prisonniers, nous apprenions la nouvelle du décès du Père Marie-Bénigne Duchossois.
Il n’avait pas commencé sa quatrième année de théologie et, de ce fait, aurait dû se trouver parmi nous. Aujourd’hui qu’il nous a quittés définitivement, nous joignons son nom au groupe des nôtres, qui, en ce mois de novembre, s’imposent plus particulièrement à notre souvenir et à nos prières.
Né à Reichshoffen le 18 avril 1914, le père Duchossois appartenait à une de ces familles terriennes qui ont su conserver toute leur vitalité aux traditions chrétiennes. Et c’est, sans doute, dans cette double qualité — chrétienne et terrienne — du climat de famille qu’il a puisé le sens aigu du sérieux de la vie, qui donna bientôt à son caractère maturité et gravité. Très discret pour ce qui le concernait, le père ne nous a guère communiqué ses souvenirs d’enfance. Mais, quand on l’y engageait, il évoquait volontiers sa province d’origine, prenant un plaisir non dissimulé à faire revivre en conversation les coutumes et les fêtes locales avec leur double caractère : religieux et familial. A l’entendre, on sentait combien son âme s’était épanouie dans cette atmosphère de piété religieuse et d’intimité familiale qui avait rendu son âme délicate et sensible.
Après un séjour de quelque temps au collège des Missions de Haguenau, il se sentit appelé par le Sacré-Coeur et alla terminer ses études à Domois avant d’entrer au noviciat. Le 29 septembre 1936 il émettait ses premiers voeux. Connaissant la parfaite droiture de son âme, l’on soupçonne un peu la jeune ferveur qu’il dut mettre dans sa profession religieuse à laquelle désormais il restera fidèle.
Puis le frère Marie-Bénigne fut envoyé à Lille pour y étudier la philosophie. En 1938, le service militaire le réclama. Il fut surpris par la guerre alors qu’il se préparait à reprendre ses études. Fait prisonnier en 1940, il fut libéré quelques semaines après, en raison de ses origines alsaciennes et passa plusieurs mois dans notre maison de Fribourg en Brisgau. Mais il avait hâte de retrouver sa province et il se risqua à passer la frontière et la ligne de démarcation, pour arriver à St-Cirgues la veille de Noël 1941. Et, sans tarder, il se mit à l’étude de la théologie : effort méritoire de sa part, puisqu’il était sujet à d’incessantes névralgies et à de fréquentes insomnies, ce qui lui rendait les études assez pénibles. Il en laissa échapper l’aveu, un jour, et plus d’un d’entre nous en fut étonné.
Mais il avait hâte d’arriver au sacerdoce. Sans connaître son orientation exacte en apostolat, nous savons qu’il avait une âme d’apôtre et qu’il lui tardait d’exercer son zèle auprès des âmes. Déjà au scolasticat, il concrétisait ses soucis apostoliques par une charité active et prévenante ainsi que par un dévouement de tous les instants. A l’observer, on se rendait compte qu’il était préoccupé d’exploiter au maximum ses années de formation : son ardeur à l’étude, malgré les difficultés rencontrées, en témoigne. Exemplaire par sa piété et son sens de la règle, il a laissé parmi nous le souvenir d’une vie toute consacrée à Dieu.
Progressivement il s’achemine vers le sacerdoce par la réception des ordres mineurs. Les émotions ne lui manquèrent pas en sa troisième année de théologie. Une erreur de transcription sur l’indult retarde son ordination au sous-diaconat. Enfin, les bouleversements des derniers mois l’invitaient à entrer lui aussi dans le sacrifice. Son âme délicate dut ressentir vivement l’absence des parents et amis. La gravité des événements en cours, la sobriété des cérémonies, le dépouillement du décor — l’ordination eut lieu au monastère de la Visitation — tout, finalement, dut contribuer à rendre la joie plus intérieure et plus silencieuse. Le père chanta sa première messe solennelle au scolasticat de St-Cirgues.
Deux mois après son ordination, il se sentit fatigué; mais, par timidité d’en dit rien. Cette timidité le caractérise bien. C’est elle qui lui faisait prendre parfois des attitudes qui cachaient son excellent coeur. Personne ne s’y trompait, d’ailleurs. Au surplus, il y joignait une extrême délicatesse de sentiments à l’égard de tous ses frères et l’allure simple de ses conversations lui donnait accès auprès de tous.
Son mal l’obligea bientôt à s’aliter. C’était le 8 septembre. Il ne devait plus guère se relever. Longtemps les médecins cherchèrent la nature exacte de la maladie sans pouvoir porter de diagnostic sûr. Quand enfin une pleurésie se déclara ouvertement. Il ne s’en remit que lentement et pour être attaqué par la tuberculose. A part les moments de fièvre où les maux de tête le tenaillaient, il ne souffrit pas physiquement. Mais il dut lutter pour se faire peu à peu à l’inactivité. A son coeur de jeune prêtre, la privation de la messe et de l’office était particulièrement pénible.
D’autres souffrances l’attendaient. Longtemps sans nouvelles de sa famille, il reçut un jour la visite de son frère qui lui apprit les épreuves des siens.
Etant sorti d’une cave où il s’était réfugié pendant qu’on se battait dans la région, son père fut blessé par les allemands et emmené de force. On demeura sans nouvelles de lui. Quelques mois après il revint, mais infirme pour la vie. La foi robuste de ses parents consola le père.
Malgré les soins qu’on lui prodigua, notre malade ne retrouva pas ses forces et, au mois d’août dernier, on dut le confier aux religieuses du Temple, à Limoges.
Déjà on était inquiet sur l’issue de sa maladie car l’affaiblissement le minait de plus en plus. Malgré tout, il s’accrocha fermement à l’espoir de guérir. Mais il dut finalement se rendre à l’évidence. Un père Franciscain le prépara à l’«In Paradisum». Le malade reçut l’extrême onction en toute lucidité et avec piété. Un soir, on le vit presque à bout et deux religieuses furent chargées de la veiller. Vers 4 heures du matin on s’aperçut que ses derniers moments étaient arrivés. Il s’éteignit très doucement tandis que près de lui on récitait les prières des agonisants.
Ses funérailles furent simples et recueillies comme sa vie. L’assistance était composée presque exclusivement de prêtres et de religieuses. Jusque dans la mort, il sera resté dans le cadre de piété qui avait protégé son enfance et nourri son âme.
En lui nous perdons un confrère dont la vie simple et profondément religieuse nous est un exemple. La Providence ne lui a pas permis d’exercer son zèle apostolique, mais le sacrifice continuel des derniers mois de sa vie n’est-il pas un apostolat éminemment sacerdotal, digne d’être associé au sacrifice qu’il eut le bonheur, quelque temps au moins, d’offrir à l’autel.
(Extrait de «VIBRER N°13 juil. 44)

UNE ORDINATION DE GUERRE AU SCOLASTICAT
Ce trimestre (à St-Cirgues) a été un peu plus mouvementé que d’habitude, tout au moins pour les ordinands auxquels le chroniqueur prête sa plume pour quelques instants:
«L’ordination au diaconat devait avoir lieu à Issoire, le samedi 3 Juin, veille de la Trinité, au cours d'un Congrès eucharistique dans cette ville. Dès le lundi de la Pentecôte, on annonce que l’ordination n’aurait pas lieu, l'évêque du diocèse étant contraint à une absence plus ou moins prolongée. Serait-ce partie remise? Heureusement non! Le même 3 Juin auront lieu au Puy des ordinations solennelles auxquelles nous pourrons participer. Après bien des difficultés de voyage, quatre d'entre nous reçoivent, en la cathédrale du Puy, de son Ex. Mgr Martin, le diaconat, et le cinquième, c.à.d. le Fr. Duchossois dont l'Indult est enfin arrivé, le sous-diaconat, qui sera suivi du diaconat conféré le jeudi suivant à St-Flour par Mgr Pinson. A cotte occasion, son Ex. Mgr Pinson propose lui-même au R.P. Provincial de venir lui-même à St-Cirgues le 18 juin, y conférer les ordinations sacerdotales. Mais à peine le Fr. Duchossois est-il de retour à St Cirgues pour annoncer cette heureuse nouvelle, que l’on apprend l'interdiction de circuler en voiture motorisée. Déception? peut-être, mais pas complète.
«Nous partirons nous-mêmes pour Neussargues, en bicyclette, puisque les communications ferroviaires sont coupées, et de là, si c'est nécessaire, nous pousserons même jusqu’à St Flour. C'est ce qui fut fait: le 17 juin au soir, nous étions reçus, le R.P. Provincial et les ordinands, au séminaire de cette ville ou nous passâmes la nuit. Et le lendemain 18 juin à 8 heures, en la chapelle de la Visitation de cette ville, Mgr Pinson nous conférait le sacerdoce. Tout était de qualité: et le jour qui était le dimanche dans l'octave du Sacré-Coeur, et la chapelle qui nous rappelait Paray-le-Monial. Dans une chaleureuse et paternelle allocution que son Excellence adressa aux cinq nouveaux prêtres au terme de la cérémonie. Elle leur dit sa Joie d'avoir été l'instrument de l'Esprit-Saint, et les assura de l'intention toute spéciale et bien significative du Sacré-Coeur qui leur avait fait son plus grand don d'amitié dans l’éloignement absolu de tout soutien terrestre, parents et frères religieux, et l'intime et fervente atmosphère d'une communauté de Visitandines pendant l’octave qui lui est consacrée.
«Nous prîmes petit déjeuner et déjeuner au parloir de la Visitation, autour de Son Excellence qui fut remerciée par l'un d'entre nous, pour l'extrême bienveillance qu'elle avait témoignée aux prêtres du Sacré-Coeur et pour la délicatesse prévenante et la grande bonté avec lesquelles elle avait bien voulu non seulement nous recevoir, mais nous inviter dans sa ville épiscopale. L'accueil empressé inspiré par une sympathie si spéciale de la Rde Mère Supérieure de la Visitation méritait bien que quelqu'autre d'entre nous lui présentât tous nos remerciements. I1 sut bien lui dire à quel point nous voulions apprécier la ferveur des prières de toute sa communauté pour ceux qu’elle disait un peu ses prêtres, et l'union spirituelle qui dès lors plus que par le passé, nous attacherait à cette Visitation de laquelle le Très Bon Père nous a rendus tributaires et dont la spiritualité est si proche de la nôtre. Le soir même du 18, nous quittions St-Flour, prêtres pour l’éternité, enchantés de la charité et de la ferveur spirituelle qui nous avaient entourés et que nous avions vécues ce matin, intimidés et ébahis du pouvoir sacerdotal, dont nos âmes venaient d’être investies.»
Pendant que les ordinands préparaient leurs âmes au sacerdoce et recevaient ce sacerdoce, nous célébrions à St-Cirgues, dans le recueillement, la fête du Sacré-Coeur, et assurions le dimanche suivant, service liturgique et chants religieux de la procession du T.S. Sacrement de la paroisse. Et le lendemain ainsi que les jours suivants, malgré la chaleur d’été et l'incertitude des temps, nous donnions le coup de grâce à l’année scolaire 43-44, par les examens écrits et oraux de fin d'année.
A l'aube du mercredi, nous arrivèrent de Neussargues le R.P. Salin et les postulants, qui désiraient prendre contact avec leurs aînés et se réjouir avec eux, avant de s’enfoncer dans le silence du noviciat. La journée du jeudi fut consacrée à dissiper toutes nos réminiscences théologiques et à préparer la maison pour la fête du lendemain. Les nouveaux prêtres arrivèrent à 19 heures, les visages noircis par la poussière et la sueur: ils avaient fait 80 km à bicyclette, mais l'âme joyeuse et rayonnante, pour apporter à la communauté leur bénédiction sacerdotale.
La fête des prémices sacerdotales n’a peut-être pas eu tout l'éclat extérieur de celles du passé, mais elle en eut certes toute la ferveur familiale et fraternelle; plus que par le passé, semblait-il, presque toute la communauté se réjouissait avec les nouveaux prêtres, tant elle avait participé à leurs incertitudes et à leurs inquiétudes.
Au repas du soir, le R.P. Recteur souligna la reconnaissance que nous devions au Sacré-Coeur et à la Sainte Vierge pour cette année que, malgré les événements, nous avons pu passer dans le calme et couronner par cette belle journée des prémices sacerdotales. De loin, il remercia aussi Son Excellence Mgr de St-Flour, le T.R.P. Provincial et le R.P. Legay, et termina par un mot paternel à l'adresse des nouveaux prêtres.
Dès le lendemain, les postulants prirent la route de Busséol et toute la communauté, sauf les prêtres de quatrième année qui passèrent dans la journée leur examen de juridiction, s'engagea dans les mystères des grandes vacances avec l'espoir de les clôturer sous un ciel moins noir et sur une terre plus paisible.
(Extrait de «VIBRER» N° 18 oct. 45 page 23)

 

AVANT-PROPOS, EXERGUE - CAUSES INTRODUITES