Beaucoup
d'entre nous ont connu le Père Julien Jacques. Nous
reprenons à "Inter Fratres" de la Prov. de LW.
cet "In memoriam".
L'oblation ultime
Au repas qui suivit les funérailles du P. Bosio, notre procureur
général près du Saint Siège (+2.11.57),
le Père Lellig, notre supérieur Général,
prononça une allocution et fit la réflexion qui me
frappa: "la mort porte à ne considérer que l'essentiel
d'une vie". Cette réflexion me vint à l'esprit
quand on apprenait lors du décès du Père Jacques
(+22.5.1981) qu'il avait mis son corps à la disposition de
l'Université de Louvain. Ce qui restait de sa dépouille
fut inhumé, en toute intimité, au cimetière
de notre couvent de Burnot, le 22.6.1982.
Que penser de cette volonté dernière du défunt?
Pendant sa vie, le Père J. Jacques entretenait d' étroites
relations avec l'Université ca-tholique, son Université.
Il y avait fait de brillantes études de philo-sophie, couronnées
par une non moins brillante défense de thèse de doc-torat
en philosophie néo-scolastique sur la 4° preuve thomiste
de l'exis-tence de Dieu. Il la présentait d'une façon
nouvelle et originale. La thèse apportait en outre la preuve
d'une maturité scientifique remarqua-ble à tel point
que la Faculté, vu aussi les excellentes notes d'examen,
fit des démarches auprès du supérieur général
d'alors, le P. Philippe, pour obtenir que le lauréat puisse
continuer sa formation en vue de devenir professeur à l'Université.
Hélas, la province était à court de personnel
de sorte que la démarche ne pouvait aboutir. Quoi qu'il en
soit, le P. Jacques, je pense, était une intelligence à
même non seulement de possé-der à fond une matière,
mais aussi d'en faire avancer les problèmes. Dans la suite,
il devint membre de la Société philosophique de l'Université,
où il se trouvait parmi des égaux. Tant qu'il résidait
au scolasticat, comme répétiteur de philosophie d'abord,
puis comme recteur et après comme assistant, il prenait régulièrement
part aux réunions de la Société. Aux récréations
du soir, il aimait à raconter aux Pères ce qu'on avait
débattu au cours de la dernière séance; ainsi
nous participions indirec-tement, mais d'une manière fort
intéressante, au cheminement de la pensée philosophique
au sein de l'Université Catholique...
La charité du Christ nous presse (2 Co 5,14)
Ce n'était pas uniquement le profond attachement à
l'Université qui a poussé le père à
lui offrir son corps en vue d'une connaissance meilleure des maladies,
mais cette volonté dernière recélait, à
n'en pas douter, une très généreuse intention
de charité envers les souffrants. C'est essentiel au défunt.
C'était visible lorsque le père dirigeait le scolasticat
pendant la dernière guerre. Sous son impulsion on nourrissait
une large centaine de familles pauvres du quartier populeux aux
abords duquel le scolasticat dressait son imposante façade.
En ce qui concerne cette action charitable de grande envergure,
il est juste de rendre hommage à l'inspirateur, mais aussi
aux scolastiques qui se dévouaient -non sans peine - à
quêter les provisions et à les distribuer discrètement.
L'homme de la relance
Le scolasticat fut donné en charge au père Jacques
pendant une pé-riode particulièrement difficile (1937-43).
Au lendemain de son retour d'un séjour à Davos où
il avait terminé une cure préventive contre la tuberculose
menaçante, voilà que commençait, le 10.05.1940,
l'invasion de la Belgique par l'armée allemande. Comme l'avance
de l'envahisseur s'avérait irrésistible la décision
fut prise de chercher sécurité der-rière la
ligne Maginot. Mais il fallait reculer de plus en plus, et à
l'armistice du 22 juin 1940, on se trouvait réfugié
à La Chassagne au diocèse de Saint-Flour, au coeur
de la France. Et l'on doit envisager le rapatriement. Le Mont-Pelé
étant réoccupé en septembre, le supérieur
avait à réorganiser le cours de philosophie à
tenir au scolasticat, puisque le scolasticat de philosophie S.J.
avait été incendié lors de la prise de Louvain;
il fallait organiser le ravitaillement en un temps de pénurie
alimentaire qu'on prévoyait de longue durée, pour
faire tourner le sco-lasticat, plein à craquer, sans compter
les pauvres démunis; reprendre la publication du «Règne
du Sacré-Coeur», stocker à cet effet du papier
à imprimer; redémarrer une quête incertaine,
etc. Sous la direction avisée et ferme du recteur, la vie
interne de notre maison d'études se normalisa rapidement,
grâce aussi à la volonté de coopération
de la communauté en-tière. Les théologiens
retrouvaient l'enseignement de haut niveau chez les Pères
Jésuites de la rue des Récollets. Et tous tiraient
à nouveau profit des conférences que donnaient des
personnalités éminentes, tel le P. Scheuer S.J., sur
l' invitation du supérieur, toujours soucieux de compléter
la formation de nos jeunes au-delà des matières du
programme. En été 1942 les jeunes hommes du Grand-Duché
furent contraints à servir dans l'armée allemande;
le supérieur aida nos scolastiques grand-ducaux à
disparaître dans la clandestinité et prit sur lui le
risque d'en répon-dre le cas échéant devant
l'autorité d'occupation.
Outre cette activité "ad intra", le P. Jacques
rayonnait "ad extra' il relance notre Association réparatrice
A.R.T. (Adveniat Regnum Tuum), par des prédications ad hoc
en fin de semaine dans diverses paroisses, par une active propagande
visant à faire célébrer des messes de Réparation
par de fréquentes conférences et retraites surtout
à des religieuses. Ses talents oratoires étaient très
appréciés; clarté de l'exposition, profondeur
de la pensée, chaleur d'une piété personnelle
à base d'une théolo-gie ascétique et mystique
possédée à la perfection, enfin un charisme
re-connu de confesseur et de directeur spirituel. Le Père
menait de front ces multiples activités accaparantes, avec
grand succès, dû au constant souci de ne jamais rien
faire à moitié. Les accrocs périodiques de
santé n'affai-blissaient pas son zèle, ni non plus
les interventions chirurgicales, com-me l'ablation d'un rein. A
tout prendre, on était en présence d'une âme
éminemment apostolique, dévorée du zèle
de jeter le feu en tous lieux à sa portée: "ignem
veni mittere in terram, et quod volo, nisi ut accendatur' (Luc 12,29).
Le feu que Notre Seigneur était venu jeter sur la terre,
le P. Jacques brûlait de l'allumer partout où il pouvait...
et tant qu'il vécut.
Le passionné du Sacré-Coeur
Ce feu était alimenté surtout au Culte du Coeur du
Christ. Ce culte, il ne s'agissait pas seulement de le diffuser
le plus possible, mais en plus de l'approfondir. Le Père
avait son originalité de le conce-voir. Il voulait qu'on
mit en relief la divinité de ce Coeur, alors que les auteurs
intéressaient de préférence les fidèles
au Coeur humain du Christ. Pour le Père Jacques, le signifié
l'emporte sur le signifiant: à travers le Coeur humain de
Jésus luit la transparence de l'Amour divin. Là-dessus
il n'hésita pas à entrer en controverse avec les Jésuites
de son Pays, par exemple avec un auteur fameux, le P. Verheylesom.
Quand fut publiée l'Encyclique "Haurietis aquas",
on nous rapporta, à Rome, que, pour cette encyclique, Pie
XII avait sur son secrétaire aussi brochures et ar-ticles
du P. Jacques sur le Sacré-Coeur. Le P. G. Raaijmakers, bibliothécaire
par intérim de la «bibliotheca congregationis»
a eu lamabilité de faire l'inventaire de tout ce que
contient la bibliothèque portant le nom du P. Jacques. I1
a repéré trente articles théologiques sur la
dé-votion au Coeur du Christ ou sur la réparation,
dans la série de 1'ART de Louvain, dans "Vinculum Associationis
Reparatricis" de la Curie géné-rale, dans le
"Règne" de Louvain et dans d'autres revues. I1
est permis de regretter que le Père n'ait écrit aucun
livre sur ces matières qu'il connaissait si bien...
Le disciple du P. Fondateur
Le Père Jacques vouait une vénération filiale
au Père Dehon, qui était à l'origine de sa
vocation religieuse et sacerdotale. Les parents habitaient Ixelles,
commune bruxelloise, non loin du couvent et de la Procure des Prêtres
du Sacré-Coeur, alors Maison-Mère de la Congrégation,
où le Très Bon Père passait le soir de sa longue
et sainte vie. Jeune garçon, Julien servait souvent la messe
et, la grâce divine aidant, le vénérable vieillard
parut à son enfant de choeur l'idéal à suivre.
Le P. Dehon aura-t-il jamais soupçonné que Julien
serait un jour le Vice--postulateur des Causes de sa béatification
et de celle du Père André ?
Pendant la dernière guerre, en 1944, en diffusant 1'ART.,
le Père lança à travers la Belgique la brochure:
"Tous les jours avec le Sacré-Coeur : Pensées
du Père Jean-Léon Dehon..." Cette brochure connut
un vrai succès, son tirage atteignit 20 000 exemplaires.
Et c'étaient les idées du P. Fondateur sur la Réparation
qu'il faisait connaître et aimer par un grand nombre de prêtres,
de religieux et de religieuses. Peut-être que les circonstances
inquiétantes que vivait alors la Bel-gique ont contribué
au succès inattendu de ce petit livre dont la spi-ritualité,
toute centrée sur le Coeur du Christ, encourageait ces âmes
à se serrer autour de celui qui est l'Unique Réparateur?
L'homme entier.
En considérant la personnalité humaine, substrat de
la personna-lité religieuse et sacerdotale de notre confrère
défunt, celui-ci paraît bien le fils de Julien Jacques,
colonel d'artillerie et professeur de lÉcole de guerre,
qui me fut dépeint comme un professeur de très haute
conscience professionnelle quelque peu méticuleuse, et le
fils d'une mère très pieuse, Eugénie Brouhon.
Dans un autre ordre de choses, Julien Jacques fils avait lui aussi
une conception très haute et exigeante du sacerdoce et de
la perfection religieuse. I1 en résultait une rigueur qui
déroutait la faiblesse humaine d'autrui. Admettre aux voeux
et aux ordres était pour lui un tourment...
Comme recteur du scolasticat, il tenait énormément
à la lecture pendant les repas. Sa valeur formatrice, disait-il,
c'est d'abstraire du souci de la nourriture en intéressant
et en instruisant l'esprit. I1 souffrait de remarquer que les "vivat"
devenaient de plus en plus fré-quents dans les diverses communautés.
Une fois, c'était la fête de la Nativité de
la sainte Vierge, l'auteur de ces lignes présidait, pour
le supérieur absent, le souper et donna "vivat".
L'absent rentra pendant le repas et, le lendemain, vint lui reprocher
le "vivat" de la veille, gentiment, il est vrai. Fait
divers, mais révélateur de l'homme. Je saisis l' occasion
de relever que, de par son éducation familiale bien sûr,
le père se montrait toujours distingué et courtois.
Me vouer par pur amour à votre Coeur Sacré
Ces mots du Pacte d'amour du P. Fondateur pourraient-ils exprimer
l'essentiel de la vie de l'éminent confrère qui a
nous quitté pour léternité ? Jeune homme
il rompit ses études de candidat-ingénieur à
luniversité de Bruxelles et d'élève très
doué du Conservatoire de la même ville. I1 l'a fait
afin de tenter l'aventure de la vie religieuse et sacerdotale dans
une Congrégation jeune et somme toute modeste. Celle-ci lui
a procuré une formation philosophique et théologique
très poussée en rapport avec ses dons intellectuels
supérieurs. Mais, s'il est entré fort avant dans la
spiritualité propre de l'Institut -être spécialistes
de la dévotion au Sacré-Coeur, nous disait Paul VI
dans l'audience du XV° chapitre général -ce fut
le résultat d'un effort personnel d'approfondissement continu
et de pratique généreuse. Comme supérieur et
comme apôtre il avait très à coeur de partager
ses richesses avec nos jeunes, nos communautés, avec les
com-munautés de religieuses, avec les prêtres et religieuses
de ses nombreuses retraites. Cette activité ne connut jamais
de répit. Encore comme recteur de Quévy (1959-65),
puis comme simple Père, il rayonnait de là surtout
en France, il aurait désiré pousser son apostolat
jusqu'en Suisse romande; enfin, retiré chez les Soeurs des
Pauvres, rue Haute, Bruxelles, il resta actif jusqu'à ce
qu'au soir du 22 août une soudaine et brève agonie
mît un terme à sa pérégrination sur terre.
Alors que de brillantes perspectives d'avenir dans le monde de la
science pouvaient séduire l'étudiant universitaire,
celui-ci se contenta de la vie simple et discrète de prêtre-religieux
du Sacré-Coeur, sous le nom religieux de Jean du Sacré-Coeur.
I1 mérite bien qu'on rappelle à son sujet le mot de
l'épitre aux Hébreux: "Justus autem meus ex fide
vivit".
I1 a vécu d'une foi toujours plus forte dans les richesses
inson-dables du Coeur du Christ, foi devenue désormais pour
lui -c'est notre confiance - vision et bonheur sans fin.
Nicolas Walzer scj.
AVANT-PROPOS,
EXERGUE - CAUSES
INTRODUITES
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