Le Père JACQUES Julien (Jean du C.de J.)
(1904-1981)

NNé le 10.01.1904 à
Profès le 17.10.1924 à Brugelette
Prêtre le 23.10.1932 à
Décès le 22.08.1981 à Bruxelles

 

Beaucoup d'entre nous ont connu le Père Julien Jacques. Nous
reprenons à "Inter Fratres" de la Prov. de LW. cet "In memoriam".
L'oblation ultime
Au repas qui suivit les funérailles du P. Bosio, notre procureur général près du Saint Siège (+2.11.57), le Père Lellig, notre supérieur Général, prononça une allocution et fit la réflexion qui me frappa: "la mort porte à ne considérer que l'essentiel d'une vie". Cette réflexion me vint à l'esprit quand on apprenait lors du décès du Père Jacques (+22.5.1981) qu'il avait mis son corps à la disposition de l'Université de Louvain. Ce qui restait de sa dépouille fut inhumé, en toute intimité, au cimetière de notre couvent de Burnot, le 22.6.1982.
Que penser de cette volonté dernière du défunt? Pendant sa vie, le Père J. Jacques entretenait d' étroites relations avec l'Université ca-tholique, son Université. Il y avait fait de brillantes études de philo-sophie, couronnées par une non moins brillante défense de thèse de doc-torat en philosophie néo-scolastique sur la 4° preuve thomiste de l'exis-tence de Dieu. Il la présentait d'une façon nouvelle et originale. La thèse apportait en outre la preuve d'une maturité scientifique remarqua-ble à tel point que la Faculté, vu aussi les excellentes notes d'examen, fit des démarches auprès du supérieur général d'alors, le P. Philippe, pour obtenir que le lauréat puisse continuer sa formation en vue de devenir professeur à l'Université. Hélas, la province était à court de personnel de sorte que la démarche ne pouvait aboutir. Quoi qu'il en soit, le P. Jacques, je pense, était une intelligence à même non seulement de possé-der à fond une matière, mais aussi d'en faire avancer les problèmes. Dans la suite, il devint membre de la Société philosophique de l'Université, où il se trouvait parmi des égaux. Tant qu'il résidait au scolasticat, comme répétiteur de philosophie d'abord, puis comme recteur et après comme assistant, il prenait régulièrement part aux réunions de la Société. Aux récréations du soir, il aimait à raconter aux Pères ce qu'on avait débattu au cours de la dernière séance; ainsi nous participions indirec-tement, mais d'une manière fort intéressante, au cheminement de la pensée philosophique au sein de l'Université Catholique...
La charité du Christ nous presse (2 Co 5,14)
Ce n'était pas uniquement le profond attachement à l'Université qui a poussé le père à lui offrir son corps en vue d'une connaissance meilleure des maladies, mais cette volonté dernière recélait, à n'en pas douter, une très généreuse intention de charité envers les souffrants. C'est essentiel au défunt. C'était visible lorsque le père dirigeait le scolasticat pendant la dernière guerre. Sous son impulsion on nourrissait une large centaine de familles pauvres du quartier populeux aux abords duquel le scolasticat dressait son imposante façade. En ce qui concerne cette action charitable de grande envergure, il est juste de rendre hommage à l'inspirateur, mais aussi aux scolastiques qui se dévouaient -non sans peine - à quêter les provisions et à les distribuer discrètement.
L'homme de la relance
Le scolasticat fut donné en charge au père Jacques pendant une pé-riode particulièrement difficile (1937-43). Au lendemain de son retour d'un séjour à Davos où il avait terminé une cure préventive contre la tuberculose menaçante, voilà que commençait, le 10.05.1940, l'invasion de la Belgique par l'armée allemande. Comme l'avance de l'envahisseur s'avérait irrésistible la décision fut prise de chercher sécurité der-rière la ligne Maginot. Mais il fallait reculer de plus en plus, et à l'armistice du 22 juin 1940, on se trouvait réfugié à La Chassagne au diocèse de Saint-Flour, au coeur de la France. Et l'on doit envisager le rapatriement. Le Mont-Pelé étant réoccupé en septembre, le supérieur avait à réorganiser le cours de philosophie à tenir au scolasticat, puisque le scolasticat de philosophie S.J. avait été incendié lors de la prise de Louvain; il fallait organiser le ravitaillement en un temps de pénurie alimentaire qu'on prévoyait de longue durée, pour faire tourner le sco-lasticat, plein à craquer, sans compter les pauvres démunis; reprendre la publication du «Règne du Sacré-Coeur», stocker à cet effet du papier à imprimer; redémarrer une quête incertaine, etc. Sous la direction avisée et ferme du recteur, la vie interne de notre maison d'études se normalisa rapidement, grâce aussi à la volonté de coopération de la communauté en-tière. Les théologiens retrouvaient l'enseignement de haut niveau chez les Pères Jésuites de la rue des Récollets. Et tous tiraient à nouveau profit des conférences que donnaient des personnalités éminentes, tel le P. Scheuer S.J., sur l' invitation du supérieur, toujours soucieux de compléter la formation de nos jeunes au-delà des matières du programme. En été 1942 les jeunes hommes du Grand-Duché furent contraints à servir dans l'armée allemande; le supérieur aida nos scolastiques grand-ducaux à disparaître dans la clandestinité et prit sur lui le risque d'en répon-dre le cas échéant devant l'autorité d'occupation.
Outre cette activité "ad intra", le P. Jacques rayonnait "ad extra' il relance notre Association réparatrice A.R.T. (Adveniat Regnum Tuum), par des prédications ad hoc en fin de semaine dans diverses paroisses, par une active propagande visant à faire célébrer des messes de Réparation par de fréquentes conférences et retraites surtout à des religieuses. Ses talents oratoires étaient très appréciés; clarté de l'exposition, profondeur de la pensée, chaleur d'une piété personnelle à base d'une théolo-gie ascétique et mystique possédée à la perfection, enfin un charisme re-connu de confesseur et de directeur spirituel. Le Père menait de front ces multiples activités accaparantes, avec grand succès, dû au constant souci de ne jamais rien faire à moitié. Les accrocs périodiques de santé n'affai-blissaient pas son zèle, ni non plus les interventions chirurgicales, com-me l'ablation d'un rein. A tout prendre, on était en présence d'une âme éminemment apostolique, dévorée du zèle de jeter le feu en tous lieux à sa portée: "ignem veni mittere in terram, et quod volo, nisi ut accendatur' (Luc 12,29). Le feu que Notre Seigneur était venu jeter sur la terre, le P. Jacques brûlait de l'allumer partout où il pouvait... et tant qu'il vécut.
Le passionné du Sacré-Coeur
Ce feu était alimenté surtout au Culte du Coeur du Christ. Ce culte, il ne s'agissait pas seulement de le diffuser le plus possible, mais en plus de l'approfondir. Le Père avait son originalité de le conce-voir. Il voulait qu'on mit en relief la divinité de ce Coeur, alors que les auteurs intéressaient de préférence les fidèles au Coeur humain du Christ. Pour le Père Jacques, le signifié l'emporte sur le signifiant: à travers le Coeur humain de Jésus luit la transparence de l'Amour divin. Là-dessus il n'hésita pas à entrer en controverse avec les Jésuites de son Pays, par exemple avec un auteur fameux, le P. Verheylesom. Quand fut publiée l'Encyclique "Haurietis aquas", on nous rapporta, à Rome, que, pour cette encyclique, Pie XII avait sur son secrétaire aussi brochures et ar-ticles du P. Jacques sur le Sacré-Coeur. Le P. G. Raaijmakers, bibliothécaire par intérim de la «bibliotheca congregationis» a eu l’amabilité de faire l'inventaire de tout ce que contient la bibliothèque portant le nom du P. Jacques. I1 a repéré trente articles théologiques sur la dé-votion au Coeur du Christ ou sur la réparation, dans la série de 1'ART de Louvain, dans "Vinculum Associationis Reparatricis" de la Curie géné-rale, dans le "Règne" de Louvain et dans d'autres revues. I1 est permis de regretter que le Père n'ait écrit aucun livre sur ces matières qu'il connaissait si bien...
Le disciple du P. Fondateur
Le Père Jacques vouait une vénération filiale au Père Dehon, qui était à l'origine de sa vocation religieuse et sacerdotale. Les parents habitaient Ixelles, commune bruxelloise, non loin du couvent et de la Procure des Prêtres du Sacré-Coeur, alors Maison-Mère de la Congrégation, où le Très Bon Père passait le soir de sa longue et sainte vie. Jeune garçon, Julien servait souvent la messe et, la grâce divine aidant, le vénérable vieillard parut à son enfant de choeur l'idéal à suivre. Le P. Dehon aura-t-il jamais soupçonné que Julien serait un jour le Vice--postulateur des Causes de sa béatification et de celle du Père André ?
Pendant la dernière guerre, en 1944, en diffusant 1'ART., le Père lança à travers la Belgique la brochure: "Tous les jours avec le Sacré-Coeur : Pensées du Père Jean-Léon Dehon..." Cette brochure connut un vrai succès, son tirage atteignit 20 000 exemplaires. Et c'étaient les idées du P. Fondateur sur la Réparation qu'il faisait connaître et aimer par un grand nombre de prêtres, de religieux et de religieuses. Peut-être que les circonstances inquiétantes que vivait alors la Bel-gique ont contribué au succès inattendu de ce petit livre dont la spi-ritualité, toute centrée sur le Coeur du Christ, encourageait ces âmes à se serrer autour de celui qui est l'Unique Réparateur?
L'homme entier.
En considérant la personnalité humaine, substrat de la personna-lité religieuse et sacerdotale de notre confrère défunt, celui-ci paraît bien le fils de Julien Jacques, colonel d'artillerie et professeur de l’École de guerre, qui me fut dépeint comme un professeur de très haute conscience professionnelle quelque peu méticuleuse, et le fils d'une mère très pieuse, Eugénie Brouhon. Dans un autre ordre de choses, Julien Jacques fils avait lui aussi une conception très haute et exigeante du sacerdoce et de la perfection religieuse. I1 en résultait une rigueur qui déroutait la faiblesse humaine d'autrui. Admettre aux voeux et aux ordres était pour lui un tourment...
Comme recteur du scolasticat, il tenait énormément à la lecture pendant les repas. Sa valeur formatrice, disait-il, c'est d'abstraire du souci de la nourriture en intéressant et en instruisant l'esprit. I1 souffrait de remarquer que les "vivat" devenaient de plus en plus fré-quents dans les diverses communautés. Une fois, c'était la fête de la Nativité de la sainte Vierge, l'auteur de ces lignes présidait, pour le supérieur absent, le souper et donna "vivat". L'absent rentra pendant le repas et, le lendemain, vint lui reprocher le "vivat" de la veille, gentiment, il est vrai. Fait divers, mais révélateur de l'homme. Je saisis l' occasion de relever que, de par son éducation familiale bien sûr, le père se montrait toujours distingué et courtois.
Me vouer par pur amour à votre Coeur Sacré
Ces mots du Pacte d'amour du P. Fondateur pourraient-ils exprimer l'essentiel de la vie de l'éminent confrère qui a nous quitté pour l’éternité ? Jeune homme il rompit ses études de candidat-ingénieur à l’université de Bruxelles et d'élève très doué du Conservatoire de la même ville. I1 l'a fait afin de tenter l'aventure de la vie religieuse et sacerdotale dans une Congrégation jeune et somme toute modeste. Celle-ci lui a procuré une formation philosophique et théologique très poussée en rapport avec ses dons intellectuels supérieurs. Mais, s'il est entré fort avant dans la spiritualité propre de l'Institut -être spécialistes de la dévotion au Sacré-Coeur, nous disait Paul VI dans l'audience du XV° chapitre général -ce fut le résultat d'un effort personnel d'approfondissement continu et de pratique généreuse. Comme supérieur et comme apôtre il avait très à coeur de partager ses richesses avec nos jeunes, nos communautés, avec les com-munautés de religieuses, avec les prêtres et religieuses de ses nombreuses retraites. Cette activité ne connut jamais de répit. Encore comme recteur de Quévy (1959-65), puis comme simple Père, il rayonnait de là surtout en France, il aurait désiré pousser son apostolat jusqu'en Suisse romande; enfin, retiré chez les Soeurs des Pauvres, rue Haute, Bruxelles, il resta actif jusqu'à ce qu'au soir du 22 août une soudaine et brève agonie mît un terme à sa pérégrination sur terre.
Alors que de brillantes perspectives d'avenir dans le monde de la science pouvaient séduire l'étudiant universitaire, celui-ci se contenta de la vie simple et discrète de prêtre-religieux du Sacré-Coeur, sous le nom religieux de Jean du Sacré-Coeur. I1 mérite bien qu'on rappelle à son sujet le mot de l'épitre aux Hébreux: "Justus autem meus ex fide vivit".
I1 a vécu d'une foi toujours plus forte dans les richesses inson-dables du Coeur du Christ, foi devenue désormais pour lui -c'est notre confiance - vision et bonheur sans fin.
Nicolas Walzer scj.


AVANT-PROPOS, EXERGUE - CAUSES INTRODUITES