Le Frère JACQUEMIN Paul (Bruno)
(1915 - 1938)

Né le 19.12.1915 à Champagnole (39)
Profès le 29.09.1933 à Amiens
Perpétuelle le 19.03.1938
Décès le 19.03.1938 à Montana sur Sierre (CH)

Un de nos grands écrivains, parlant de la mort, dit qu'elle nous garde ce que nous aimons et qu'elle est le sel de notre amour.
Bien plus, la mort d'un être cher se résout en un splendide testament de joie et d'édification pour ceux qui restent quand, au lieu d'avoir été un départ désespéré et secoué de sanglots, elle est le brûlant essor d’une âme vers une vie plus belle, parce que plus sainte et éternelle.
La mort fut pour le Fr. Jacquemin une chose à la fois très sainte et très belle; elle lui parut la réalisation suprême de ce désir si souvent exprimé dans sa prière du matin: La présence de Dieu. Quand chaque jour une âme avec sincérité commence sa prière par ces mots: «Mettons-nous en la présence de Dieu et adorons-le », comment pourrait-elle, à l'instant suprême, redouter la vue de celui qui fut son partage et son bien unique. Aussi je ne voudrais pas dans ces lignes me confondre en regrets. Je voudrais simplement, pour notre édification à tous, évoquer une suite de souvenirs les plus fidèles possibles.
Le Fr. Paul Jacquemin est né en 1915 de cette famille dont chacun sait l'attachement et le dévouement à l'égard de notre Congrégation. Qu'on y connaisse toute la grandeur de l'appel de Dieu cela ne fait pas de doute. Aussi, quand Paul manifestera son impatient désir de devenir missionnaire, d'aller rejoindre au lointain Saint-Clément de Blaugies son grand frère Gabriel, ne rencontrera-t-il aucun obstacle.
Au début de l'année scolaire 1926 il commence ses études à Saint-Clément. Du borinage hospitalier peut-être, mais noir et plat, au Dauphiné, quelle différence ! Voilà pourtant des choses qui ne comptent pas quand on est jeune et que surtout on a un tel idéal. Aussi Paul s'acclimata rapidement; il se fit aussitôt à cette vie nouvelle de plus grande famille, à cette vie monotonement laborieuse. Bientôt, grâce à son travail, il prenait la tête de sa classe. Premier il le fut quelques fois— mais non de ces premiers insolemment indécrochables dont on ne peut rien faire de bon. Tout au long de ses études une concurrence sévère ne lui manquera jamais.
Son travail, son bon esprit, son excellent caractère ne tardèrent pas à lui conquérir l'estime de ses professeurs. Il faut dire aussi qu'il aimait s'amuser et bavarder même en classe et le grand frère Gabriel, devenu professeur et surveillant (et à qui dans la vie publique il fallait dire: «vous» et «mon Père») devait quelquefois, dans l'intimité du dimanche soir, se montrer sévère.
Les années passent. Saint-Clément a gagné Viry. Paul continue d'être le bon enfant, le bon camarade, le bon élève. En 3ème et 2de, il est sacristain. Le service des autels rappelle nécessairement l'idéal depuis si longtemps entrevu. Comment cette charge ne lui aurait-elle pas rappelé le sien, à lui, qui petit enfant jouait déjà à la messe ? (1)
La classe ne compte plus que deux élèves. Spécialiser un groupe de professeurs, pour deux élèves, devenait impossible à Saint-Clément. Les deux rescapés allèrent se joindre chaque jour aux rhétoriciens de Saint-Charles de Juvisy. Ce changement devait être une confirmation: à Saint-Charles la conduite de Paul Jacquemin donnait toute satisfaction, son travail obtenait les premiers prix et le baccalauréat à la fin de l'année.
Puis ce fut enfin, 30 juin 1932, l'entrée au noviciat. De cette époque, nous ne dirons rien. Le noviciat, c'est la retraite où chacun, avec l'aide de Dieu, travaille sur soi-même. Ce n'est pas un pieux égoïsme, mais un temps où chacun sent la nécessité de se faire des réserves, réserves sans lesquelles tout apostolat serait vain.
Après sa première profession, en septembre 1933, l'obéissance l'envoie à Viry comme professeur de 6ème. Il se donna de toute son âme à cette nouvelle vie. Un jeune professeur est nécessairement un novice: il doit se créer, lui-même, ses méthodes. Le travail l'emprisonne et le jour ne lui est plus assez long. Notre Paul paraissait solide: tout le monde s'y trompait et lui-même. Il n'était jamais malade. Au printemps de 1934, une très grave pleurésie mettait ses jours en danger. La guérison, bien lentement, sembla venir. Mais une nouvelle crise l’obligea de nouveau à prendre du repos Le repos dans une telle maison ? Le le jeune Père d'ailleurs, si on le lui eût infligé, eût énergiquement protesté. Un jeune, ça ne peut se concevoir comme quelqu'un qui se repose, alors que tout le monde, alentour, travaille.
D'ailleurs, lui-même s'ingéniait à rendre service. Il tapait à la machine les épreuves d'examen, celles plus nombreuses de musique. Il acceptait volontiers et avec le sourire un travail qu'un confrère embarrassé ou surchargé lui demandait: narrations à corriger, surveillances à prendre, voire classes à faire. Entre temps encore il songeait à préparer la deuxième partie du baccalauréat. Et ceci dura jusqu'au mois de novembre 1936. Jamais il ne s'était plaint de rien et n'avait été une petite alarme, au cours des grandes vacances, on eût pu le croire tout à fait rétabli. Ce n'est donc qu'en fin novembre 1936 qu'il vint entreprendre sa philosophie. La philosophie est souvent bien austère aux débutants. Pourtant, malgré son retard, les difficultés qui ne manquent à personne, le Fr. Jacquemin réussit le premier examen. C'était le seul ,hélas !. qu'il devait subir à Lille. En mai 1937, c'est la rechute. Il n’est plus question d’études et le médecin ordonne le repos au lit. A la mi-juillet il faut quitter Lille pour les Alpes. Au début d’août, il arrive au sanatorium de Montana, à 1500m. d’altitude, dans le Valais suisse. Personne mieux que lui ne sait la gravité de son état et pourtant jusqu’au bout il gardera un moral excellent - moral qui lui a permis d’ailleurs une telle résistance. Loin de ses frères, il ne les oublie pas et la vie du scolasticat, avec ses petits détails, l'intéresse toujours au plus haut point. C'est pourquoi, par des lettres fréquentes et longues, il conserve ininterrompue la liaison avec sa famille religieuse. Ses correspondants, qui plus que personne, admirent sa vaillance, n'ont qu'un reproche à lui faire: celui de ne pas parler ou si peu de sa santé.
Du début de février jusqu’aux premiers jours de mars, il se produisit un léger mieux. Avec la permission du médecin, le cher frère réclamait un manuel de philosophie «pour qu’au moins son année compte». Hélas !...
Vers la mi-mars, l’état subitement s’aggrave et dès lors les nouvelles de plus en plus rapidement se font mauvaises. A partir du 15 il faut veiller le malade. Ses parents prévenus accourent, rejoints par le R.P. Gabriel, supérieur de St-Clément. Le mal empire, l’oppression croît ainsi que l’irritation de la gorge : l’oxygène se montre inopérant. Bientôt le résultat de cette lutte ne fait plus de doute. Notre confrère accepte avec une générosité édifiante et ses souffrances et la certitude de sa mort prochaine. Il garde son bon sourire, plein de joie, car il est heureux de mourir. A preuve, l’une de ses dernières phrases à ses parents : «C’est presque un plaisir de mourir, quand on a la foi !». Une seule chose manque à son bonheur : un lien annuel seul l’attache à sa famille religieuse; son dernier désir serait de signifier d’une manière sensible cette donation définitive qu’il a faite depuis longtemps.
A cet effet, le Père Gabriel Jacquemin a reçu tous les pouvoirs du Père Provincial. Le jeune religieux, en une poignante cérémonie, émit ses voeux perpétuels. Le 19 mars, vers 4h. du matin, à l’aube de la fête de St-Joseph, patron de la bonne mort, notre confrère partait pour le ciel.
Le. lendemain, Paul fut conduit à sa dernière demeure par son frère aîné Gabriel, ainsi que par son plus jeune frère Pierre, élève à Viry-Châtillon, entourés du R. P. Provincial, des RR. PP. Legay, son supérieur et Augustin Jacquemin son oncle d'Amiens. Il eut aimé revenir en son école de Viry où il aurait recueilli les prières nombreuses de ceux qui l'ont connu et aimé. Cela n'a pas été possible. Lui-même, d'ailleurs, faisait la remarque qu'un religieux n'a pas à choisir sa tombe. C'est pourquoi en un endroit qu'il eut aimé: à mi-côte, devant l'église de Saint-Maurice de Laques, il repose dans l'attente de la résurrection.
Defunctus : il a rempli sa tâche. Certains ont sur cette terre de longues et lourdes tâches. La sienne, voulue par Dieu, n'était pas un lointain achèvement, c’était de commencer, c'était d'avoir l'intention, c'était seulement de faire les pre-miers pas et de montrer la route.
I1 a rempli sa tâche, de fils obéissant et bon; puis d'élève studieux, bon esprit et plein d'entrain. Il a rempli sa tâche de religieux, de professeur sérieux et dévoué, charitable, optimiste jusqu'au bout. Il nous a quittés. Ses anciens élè-ves le regrettent: il unissait si bien la sévérité et la bonté, ce qui est un don qui rend le dévouement plus facile et pleinement fructueux et qui fait laisser après soi un sou-venir ému et sans ombre: que dire du regret de ses frères, de ses amis, auxquels il fut toujours fidèle et dont certains le con-naissaient depuis plus de dix ans. De ses exemples, de sa charité, de son moral excellent, de son affection ils garderont toujours la mémoire. Leur règle leur commande de prier pour leur frère; mais ils n'ont pas besoin de cette obligation. D’ailleurs ils savent tout l'atta-chement qu'il avait pour notre Congrégation, ils savent aussi, qu'en ses derniers moments, il a pensé à eux, il a parlé d'eux et qu'il a promis de se montrer, au ciel, actif en leur faveur; c’est pourquoi confiant dans la bonté de Dieu et du Cœur de Jésus, tous, anciens élèves, confrères, amis, comptent sentir davantage encore son heureuse influence et espèrent trouver en lui un protecteur.
M. VERDIER, S. C. J.


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