Un de nos
grands écrivains, parlant de la mort, dit qu'elle
nous garde ce que nous aimons et qu'elle est le sel de notre amour.
Bien plus, la mort d'un être cher se résout en un splendide
testament de joie et d'édification pour ceux qui restent
quand, au lieu d'avoir été un départ désespéré
et secoué de sanglots, elle est le brûlant essor dune
âme vers une vie plus belle, parce que plus sainte et éternelle.
La mort fut pour le Fr. Jacquemin une chose à la fois très
sainte et très belle; elle lui parut la réalisation
suprême de ce désir si souvent exprimé dans
sa prière du matin: La présence de Dieu. Quand chaque
jour une âme avec sincérité commence sa prière
par ces mots: «Mettons-nous en la présence de Dieu
et adorons-le », comment pourrait-elle, à l'instant
suprême, redouter la vue de celui qui fut son partage et son
bien unique. Aussi je ne voudrais pas dans ces lignes me confondre
en regrets. Je voudrais simplement, pour notre édification
à tous, évoquer une suite de souvenirs les plus fidèles
possibles.
Le Fr. Paul Jacquemin est né en 1915 de cette famille dont
chacun sait l'attachement et le dévouement à l'égard
de notre Congrégation. Qu'on y connaisse toute la grandeur
de l'appel de Dieu cela ne fait pas de doute. Aussi, quand Paul
manifestera son impatient désir de devenir missionnaire,
d'aller rejoindre au lointain Saint-Clément de Blaugies son
grand frère Gabriel, ne rencontrera-t-il aucun obstacle.
Au début de l'année scolaire 1926 il commence ses
études à Saint-Clément. Du borinage hospitalier
peut-être, mais noir et plat, au Dauphiné, quelle différence
! Voilà pourtant des choses qui ne comptent pas quand on
est jeune et que surtout on a un tel idéal. Aussi Paul s'acclimata
rapidement; il se fit aussitôt à cette vie nouvelle
de plus grande famille, à cette vie monotonement laborieuse.
Bientôt, grâce à son travail, il prenait la tête
de sa classe. Premier il le fut quelques fois mais non de
ces premiers insolemment indécrochables dont on ne peut rien
faire de bon. Tout au long de ses études une concurrence
sévère ne lui manquera jamais.
Son travail, son bon esprit, son excellent caractère ne tardèrent
pas à lui conquérir l'estime de ses professeurs. Il
faut dire aussi qu'il aimait s'amuser et bavarder même en
classe et le grand frère Gabriel, devenu professeur et surveillant
(et à qui dans la vie publique il fallait dire: «vous»
et «mon Père») devait quelquefois, dans l'intimité
du dimanche soir, se montrer sévère.
Les années passent. Saint-Clément a gagné Viry.
Paul continue d'être le bon enfant, le bon camarade, le bon
élève. En 3ème et 2de, il est sacristain. Le
service des autels rappelle nécessairement l'idéal
depuis si longtemps entrevu. Comment cette charge ne lui aurait-elle
pas rappelé le sien, à lui, qui petit enfant jouait
déjà à la messe ? (1)
La classe ne compte plus que deux élèves. Spécialiser
un groupe de professeurs, pour deux élèves, devenait
impossible à Saint-Clément. Les deux rescapés
allèrent se joindre chaque jour aux rhétoriciens de
Saint-Charles de Juvisy. Ce changement devait être une confirmation:
à Saint-Charles la conduite de Paul Jacquemin donnait toute
satisfaction, son travail obtenait les premiers prix et le baccalauréat
à la fin de l'année.
Puis ce fut enfin, 30 juin 1932, l'entrée au noviciat. De
cette époque, nous ne dirons rien. Le noviciat, c'est la
retraite où chacun, avec l'aide de Dieu, travaille sur soi-même.
Ce n'est pas un pieux égoïsme, mais un temps où
chacun sent la nécessité de se faire des réserves,
réserves sans lesquelles tout apostolat serait vain.
Après sa première profession, en septembre 1933, l'obéissance
l'envoie à Viry comme professeur de 6ème. Il se donna
de toute son âme à cette nouvelle vie. Un jeune professeur
est nécessairement un novice: il doit se créer, lui-même,
ses méthodes. Le travail l'emprisonne et le jour ne lui est
plus assez long. Notre Paul paraissait solide: tout le monde s'y
trompait et lui-même. Il n'était jamais malade. Au
printemps de 1934, une très grave pleurésie mettait
ses jours en danger. La guérison, bien lentement, sembla
venir. Mais une nouvelle crise lobligea de nouveau à
prendre du repos Le repos dans une telle maison ? Le le jeune Père
d'ailleurs, si on le lui eût infligé, eût énergiquement
protesté. Un jeune, ça ne peut se concevoir comme
quelqu'un qui se repose, alors que tout le monde, alentour, travaille.
D'ailleurs, lui-même s'ingéniait à rendre service.
Il tapait à la machine les épreuves d'examen, celles
plus nombreuses de musique. Il acceptait volontiers et avec le sourire
un travail qu'un confrère embarrassé ou surchargé
lui demandait: narrations à corriger, surveillances à
prendre, voire classes à faire. Entre temps encore il songeait
à préparer la deuxième partie du baccalauréat.
Et ceci dura jusqu'au mois de novembre 1936. Jamais il ne s'était
plaint de rien et n'avait été une petite alarme, au
cours des grandes vacances, on eût pu le croire tout à
fait rétabli. Ce n'est donc qu'en fin novembre 1936 qu'il
vint entreprendre sa philosophie. La philosophie est souvent bien
austère aux débutants. Pourtant, malgré son
retard, les difficultés qui ne manquent à personne,
le Fr. Jacquemin réussit le premier examen. C'était
le seul ,hélas !. qu'il devait subir à Lille. En mai
1937, c'est la rechute. Il nest plus question détudes
et le médecin ordonne le repos au lit. A la mi-juillet il
faut quitter Lille pour les Alpes. Au début daoût,
il arrive au sanatorium de Montana, à 1500m. daltitude,
dans le Valais suisse. Personne mieux que lui ne sait la gravité
de son état et pourtant jusquau bout il gardera un
moral excellent - moral qui lui a permis dailleurs une telle
résistance. Loin de ses frères, il ne les oublie pas
et la vie du scolasticat, avec ses petits détails, l'intéresse
toujours au plus haut point. C'est pourquoi, par des lettres fréquentes
et longues, il conserve ininterrompue la liaison avec sa famille
religieuse. Ses correspondants, qui plus que personne, admirent
sa vaillance, n'ont qu'un reproche à lui faire: celui de
ne pas parler ou si peu de sa santé.
Du début de février jusquaux premiers jours
de mars, il se produisit un léger mieux. Avec la permission
du médecin, le cher frère réclamait un manuel
de philosophie «pour quau moins son année compte».
Hélas !...
Vers la mi-mars, létat subitement saggrave et
dès lors les nouvelles de plus en plus rapidement se font
mauvaises. A partir du 15 il faut veiller le malade. Ses parents
prévenus accourent, rejoints par le R.P. Gabriel, supérieur
de St-Clément. Le mal empire, loppression croît
ainsi que lirritation de la gorge : loxygène
se montre inopérant. Bientôt le résultat de
cette lutte ne fait plus de doute. Notre confrère accepte
avec une générosité édifiante et ses
souffrances et la certitude de sa mort prochaine. Il garde son bon
sourire, plein de joie, car il est heureux de mourir. A preuve,
lune de ses dernières phrases à ses parents
: «Cest presque un plaisir de mourir, quand on a la
foi !». Une seule chose manque à son bonheur : un lien
annuel seul lattache à sa famille religieuse; son dernier
désir serait de signifier dune manière sensible
cette donation définitive quil a faite depuis longtemps.
A cet effet, le Père Gabriel Jacquemin a reçu tous
les pouvoirs du Père Provincial. Le jeune religieux, en une
poignante cérémonie, émit ses voeux perpétuels.
Le 19 mars, vers 4h. du matin, à laube de la fête
de St-Joseph, patron de la bonne mort, notre confrère partait
pour le ciel.
Le. lendemain, Paul fut conduit à sa dernière demeure
par son frère aîné Gabriel, ainsi que par son
plus jeune frère Pierre, élève à Viry-Châtillon,
entourés du R. P. Provincial, des RR. PP. Legay, son supérieur
et Augustin Jacquemin son oncle d'Amiens. Il eut aimé revenir
en son école de Viry où il aurait recueilli les prières
nombreuses de ceux qui l'ont connu et aimé. Cela n'a pas
été possible. Lui-même, d'ailleurs, faisait
la remarque qu'un religieux n'a pas à choisir sa tombe. C'est
pourquoi en un endroit qu'il eut aimé: à mi-côte,
devant l'église de Saint-Maurice de Laques, il repose dans
l'attente de la résurrection.
Defunctus : il a rempli sa tâche. Certains ont sur cette terre
de longues et lourdes tâches. La sienne, voulue par Dieu,
n'était pas un lointain achèvement, cétait
de commencer, c'était d'avoir l'intention, c'était
seulement de faire les pre-miers pas et de montrer la route.
I1 a rempli sa tâche, de fils obéissant et bon; puis
d'élève studieux, bon esprit et plein d'entrain. Il
a rempli sa tâche de religieux, de professeur sérieux
et dévoué, charitable, optimiste jusqu'au bout. Il
nous a quittés. Ses anciens élè-ves le regrettent:
il unissait si bien la sévérité et la bonté,
ce qui est un don qui rend le dévouement plus facile et pleinement
fructueux et qui fait laisser après soi un sou-venir ému
et sans ombre: que dire du regret de ses frères, de ses amis,
auxquels il fut toujours fidèle et dont certains le con-naissaient
depuis plus de dix ans. De ses exemples, de sa charité, de
son moral excellent, de son affection ils garderont toujours la
mémoire. Leur règle leur commande de prier pour leur
frère; mais ils n'ont pas besoin de cette obligation. Dailleurs
ils savent tout l'atta-chement qu'il avait pour notre Congrégation,
ils savent aussi, qu'en ses derniers moments, il a pensé
à eux, il a parlé d'eux et qu'il a promis de se montrer,
au ciel, actif en leur faveur; cest pourquoi confiant dans
la bonté de Dieu et du Cur de Jésus, tous, anciens
élèves, confrères, amis, comptent sentir davantage
encore son heureuse influence et espèrent trouver en lui
un protecteur.
M. VERDIER, S. C. J.
AVANT-PROPOS,
EXERGUE - CAUSES
INTRODUITES
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