91 ans, 2
mois et 13 jours, tel est, tel fut la durée du parcours
terrestre de notre cher Père Edmond.
Né le 5 novembre 1895 à Dauendorf, village trapu du
nord de lAlsace, dans un milieu très chrétien,
il se sentit appelé à la vie religieuse et au sacerdoce
après le passage dun de nos Pères dans la paroisse.
Aidé par sa tante religieuse enseignante, il se met en contact
avec lEcole Apostolique de Clairefontaine où il fut
admis en classe de 6°, à lâge de 14 ans.
Chose surprenante, une famille protestante paya intégralement,
par un don à la tante religieuse, les six années détude
du jeune séminariste.
En 1915, il a 20 ans. LAllemagne est en guerre et mobilise
les classes 14 et 15. Devenu allemand par lannexion de lAlsace
en 1871, Edmond doit quitter le Luxembourg pour être incorporé
dans linfanterie allemande.
Après quelques mois dinstruction et dentraînement,
il part avec son régiment sur le front de lEst, en
Pologne et en Russie.
Très solide de constitution, courageux, parfois même
téméraire, les longues marches, les grands froids,
les harcèlements de lennemi nentament ni sa santé
ni son moral.
En 1918, il revient sur le front français, avec son régiment
en lambeaux, et il est dans les environs de Nancy quand larmistice
sonne la fin du cauchemar pour tout le monde. Le lendemain soir,
le soldat Edmond prend -au sens propre -la clef des champs pour
rentrer avec armes et bagages, chez lui, à Dauendorf.
I1 va rejoindre son village à pied, dans la nuit, en direction
de Sarrebourg en Moselle, puis à travers les Vosges, où
il dort 2 heures dans un fossé et où un homme, surgi
en pleine nuit à un carrefour, lui indique la route à
suivre pour échapper aux patrouilles allemandes qui font
la chasse aux « déserteurs ». Toute la journée,
il marche, sarrêtant à peine pour manger et se
reposer un peu. Tard dans la nuit, il arrive au village! Passant
par le jardin de sa maison, il décharge son mousqueton de
ses dernières balles... à la grande frayeur des bêtes
et des gens. I1 est minuit quand il embrasse ses parents dans la
cuisine. I1 venait de parcourir en 26 heures plus de 80 Km à
pied!
Après Noël et Nouvel An passé en famille, il
se rend au Grand Séminaire de Strasbourg pour y faire sa
philosophie... avant de rejoindre le scolasticat des Prêtres
du Sacré Coeur où il retrouvera danciens camarades
de Clairefontaine, tels le Père Bolsigner, Mgr Bouque, les
deux Pères Bernard, des lorrains incorporés comme
lui dans larmée allemande. En septembre 1922 il entre
au Noviciat de Brugelette où il prononcera ses premiers voeux
le 22 septembre 1923. Avant de commencer sa théologie, le
supérieur Provincial lenvoie faire deux années
de surveillant-professeur à Saint-Clément, à
Thieu dabord, puis à Blaugies, en Belgique.
En juillet 1927, a 32 ans, le Frère Edmond est ordonné
prêtre à Louvain.
Après les festivités en famille et un peu de repos,
il rejoint son nouveau poste: Blaugies, où il enseigne lallemand.
Une année à Domois, en 1931-32, puis il est nommé
à Amnéville en Moselle. Nos Pères ont en charge
la paroisse et viennent dy ouvrir une maison pour futurs séminaristes
et frères. Le Père Edmond y donne des cours dallemand
et assure léconomat.
En 1938, il demande lautorisation dentrer à la
Trappe dOelenberg, près de Mulhouse. Heureux, daprès
ce quil ma dit, il y est resté pendant 24 ans,
avec un intervalle de 9 ans comme aumônier chez les Trappistines
près de Rosheim, dans le Bas-Rhin. Ces 24 années de
vie silencieuse et contemplative étaient une préparation
à la vie de silence quil allait devoir mener chez nous,
ici à Amiens, de 1964 à 1987.
En effet, devenant de plus en plus sourd... et désirant revenir
« à ses racines » il sollicite la permission
de revenir chez les Prêtres du Sacré-Coeur. I1 avait
alors 70 ans. Le Père Abbé lamena lui-même
jusquici en voiture, voulant manifester ainsi la grande estime
quil avait pour le Père Gabriel de Notre Dame des Douleurs
-nom de Religion du Père Edmond.
Le Père quittait le silence de la Trappe pour entrer, avec
sa surdité grandissante, dans le monde du silence, là
où ne parviennent plus aucun son, aucun bruit extérieur.
Cétait un dur sacrifice, pour lui et pour nous. Ceux
qui vivent cette absence de communication avec les mal entendants
qui les entourent savent combien cette situation est parfois éprouvante
et purifiante. Et pourtant, le Père Edmond acceptait cette
infirmité avec une sérénité toute surnaturelle.
Aucune morosité, aucune amertume, aucune curiosité
morbide en lui. I1 restait gai et joyeux, humble et obéissant
avec une âme denfant.La source de sa joie, de sa bonne
humeur, de sa gentillesse et de son indulgente et compréhensive
bonté était lEucharistie. I1 passait au moins
3 ou 4 heures par jour à la chapelle, son chapelet à
la main. Vis à vis de lEucharistie, il avait, comme
nous le demande notre vénéré Fondateur, une
double soif, celle de la visiter, celle de la recevoir.
Cette vie de recueillement, de prière, dadoration et
doblation, il la menée jusquau -jour où
lartériosclérose cérébrale diminua
sérieusement ses facultés intellectuelles, lobligeant
à ne plus réciter son bréviaire... et à
diminuer le nombre de ses chapelets.
Le 22 décembre 1985, vers 15 h. de laprès-midi,
en voulant se rendre de sa chambre à loratoire pour
y célébrer lEucharistie, il sécroule
dans le corridor, le col du fémur gauche fracturé.
Dabord soigné à lHôpital-Nord dAmiens
puis à celui de Roye pour la rééducation, il
revient deux mois après à la maison de retraite de
La Neuville, à deux Km dici. Cest là quil
sest éteint doucement, sans souffrance, le dimanche
21 janvier vers 20 heures.
Avec lui disparaît un des derniers maillons qui nous reliait
directement avec le Père Dehon, notre vénéré
Fondateur. Visitant un jour, avant la première Guerre Mondiale,
lécole apostolique de Clairefontaine, le Père
Dehon -de haute stature -avait béni affectueusement un petit
alsacien, à genoux devant lui. Le 18 août 1925, ce
petit alsacien, devenu frère scolastique à Louvain,
portait avec émotion et fierté, la croix du cortège
aux funérailles du Père Dehon à Bruxelles.
Aujourdhui, ce même scolastique, devenu le Père
Edmond Lechner depuis le 24 juillet 1927, a rejoint définitivement
notre vénéré fondateur, dans la joie et la
tendresse du Coeur de Jésus et de Notre Dame, quil
a tant aimés et si bien servis ici-bas. Amen.
P. Alphonse SCHMIDT scj
AVANT-PROPOS,
EXERGUE - CAUSES
INTRODUITES
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