Le Père PREVOT Léon (André)
(1840-1913)

Né le 09.11.1840 à Le Teil d’Ardèche (07)
Prêtre le 10.06.1865 à Aix en Provence (13)
Profès le 22.09.1885 à St-Quentin
Perpétuelle le 06.09.1890 à
Décès le 26.11.1913 à Brugelette
Sup. loc. Sittard (1886-1905)
Maître des Nov. Sittard (1886-1907)
Cons. gén (1896-1899) & 1913
Maître des Nov. Manage (1907-1909)
Sup. Prov. PO ( (1909-1911)
Sup. Prov. GB (1911-1913)
Init. du Procès en can. le 21.06.1956 à Tournai (Bg)
Décret «super scriptis» 04.03.1965 à Rome

LES COLONNES DE l'ŒUVRE.
Il y a quelques soixante ans, en 1875, les habitants de Port-de-Bouc, un petit village du Midi de la France, se pressaient sur le seuil de leurs maisons pour saluer un prêtre, jeune encore qui, le bréviaire sous le bras, se dirigeait vers l'église. C'était 1e nouveau curé. Son mobilier le suivait, sans doute.., mais c'est vainement qu'on attendit ce jour-là, aussi vainement qu'on attendit le lendemain et les jours suivants. Il fallut enfin se rendre à l'évidence. Le nouveau curé n'avait et n'aurait pas de meubles, si des mains charitables ne s'ingéniaient à en installer au presbytère. Nos braves gens devaient d'ailleurs en voir bien d'autres !. . De quoi vivait leur pasteur ? Où logeait-il et que faisait-il, le long de ses journées ? Au presbytère toujours ouvert, on ne rencontrait que les chemineaux de la région, qui s'y savaient chez eux. Quant au vrai locataire, s'il n'était pas auprès d'un malade, c'est à l’église seulement qu'on le pouvait rencontrer, écrivant sur le buffet de la sacristie, ou le plus souvent agenouillé devant le Saint-Sacrement. Les canonisations sont rapides dans le Midi. I1 ne fut bientôt plus question que du « Saint Abbé Prévot ». I1 y a un nouveau curé d'Ars à Port-de-Bouc, se disait-on jusqu'à Marseille ! Et bientôt ce fut la réédition des pèlerinages d'Ars, jusqu'au jour où, alarmé dans son humilité, le saint curé obtint la faveur de continuer sa chère vie de pénitence et d'immolation, dans un cadre plus caché. Et c'est ainsi que plus tard, en 1884, après plusieurs autres ministères qui le mettaient moins en vue, le saint Abbé Prévot devenait dans notre Congrégation naissante,—nous l'avons vu,—le saint Père André. Partout, en effet, les impressions furent les mêmes. Partout on s'habitua à redire comme à Port-de-Bouc: c'est un saint, c'est un vrai curé d'Ars !
On le disait de son vivant, partout où il passa. On le dit surtout, depuis que nous avons eu, le 26 Novembre 1913, la douleur de le perdre. ~ C'est un saint que vous perdez, » écrivait-on de tous les côtés; et nous, qui l'avons vu de près, ne pensons pas différemment ! Au jour des funérailles, le T. R. P. Général demandait à ses nombreux fils assemblés autour de lui: « Qui se souvient avoir jamais vu le Bon Père André poser un acte par un motif naturel ? Pour moi, qui l'ai longtemps et intimement connu, je n'en trouverais pas.» Le Bon Père André Prévot était, de fait, une de ces figures comme on n'en voit guère sur cette terre, grande, originale et belle, une de celles qui apparaissent comme des incarnations d'un autre âge et forcent l'admiration où qu'elles soient !. . Ainsi, il déposait comme témoin, au tribunal diocésain institué à Namur pour instruire la cause de Mère Marie Véronique du Cœur de Jésus, dont il avait écrit la vie. « Quand il parlait, constatèrent les membres du tribunal, nous oubliions de qui il s'agissait, et nous étions plutôt tentés de consigner nos impressions en vue de sa béatification à lui... » C'est que tout, dans sa personne, avait et trahissait quelque chose d'extraordinaire. On a vu comment, curé, il entendait les nécessités de la vie. Il paraissait les ignorer, au grand désespoir de ceux qui s'intéressaient à lui; comme le bon percepteur qui, chargé de lui remettre son traitement, confiait ses inquiétudes à un curé du voisinage: « J'ai là le traitement de M. l'Abbé Prévot, mais que faire ? si je le lui porte aujourd'hui, il n'y en aura plus demain un centime. » Il ne changea guère, une fois religieux. Dix jours avant sa mort, il confessait n'avoir jamais réussi à arranger passablement son col, et nous lisions, au carnet de son secrétaire, sans trop oser en sourire , tant nous savions la recommandation nécessaire: « Quand le Bon Père part en voyage, bien s'assurer qu'il a l'argent voulu ». Lui n'y eut pas songé, pas plus qu'il ne songeait parfois à avertir qu'il devait s'absenter. Heureusement, de bons anges étaient là qui suppléaient à ses oublis.
Il semblait, de parti pris, ne rien savoir de la terre ni pour la terre. S'il vivait, c'était uniquement pour prier d'une oraison habituelle et pour se mortifier d'une continuelle mortification. On peut conjecturer quels furent les résultats d'un tel programme, inlassablement et parfaitement mis en œuvre, durant plus de cinquante ans: « Le Père Prévot est de plus en plus saint, » écrivait Mère Véronique dès avant 1880; et notre T. R. P. Général pouvait nous dire ce que nous sentions tous: Il fut dans l'Œuvre, non seulement un réparateur, mais vraiment «le Réparateur. »
L'Eglise a besoin d’âmes qui s'immolent, au même titre qu'elle a besoin du Saint Sacrifice de la Messe. Il ne lui suffit pas que le sacrifice de Jésus-Christ se continue mystiquement à l'autel, il faut aussi qu'il se continue historiquement dans ses membres. Un devoir naît de là, qui s'impose à tous. Mais, que nous le remplissons mal ! Aussi, de temps à autre, Dieu donne à la terre des âmes de choix, qu'il oriente principalement vers ces grandes pensées de la souffrance et de l'expiation. D'ordinaire, nous ne les comprenons guère. . . Et, de fait, elles ne sont pas de ce monde! Animées de la sainte folie de la croix, elles s'abandonnent à la justice divine, prenant sur elles unies à Jésus-Christ, pour les réparer, toutes les fautes, tous les désordres de la terre. Ne pouvant se faire à l'idée que d'autres âmes se perdent, elles rêvent de se substituer à elles, de faire de leur corps et de tout leur être, de vivantes représentations de Jésus Crucifié, de s'opposer avec Lui, comme un mur, entre Dieu et le monde pour en détourner sa colère.
Ces quelques traits résument, semble-t-il, la vie de notre vénéré Père. Dieu lui avait donné une vocation de victime privilégiée, lui mettant au coeur un grand attrait pour la souffrance et pour la croix. Né au Teil (Ardèche) le 9 Novembre 1840, il avait été guidé, au cours de ses études théologiques au grand séminaire de Viviers, par le propre directeur de Mère Marie Véronique, un Sulpicien, qui écrivait: « Dès ma seconde année de séminaire, le Sauveur m'a toujours montré la vie sacerdotale, comme un état de victime et de victime consommée pour toutes les âmes sans exception. Aussi depuis lors, la grâce de l'attrait en moi a toujours été la vie de sacrifice pour les autres. »
Diverses notes, retrouvées dans les papiers de M. l'Abbé Prévot et datant de 1874, nous le montrent animé des mêmes dispositions. Aussi, au sortir de Port-de-Bouc, c'est tout naturellement qu'il se rapproche de la pieuse fondatrice des Victimes, qui entreprenait d'établir alors, auprès de sa communauté, un groupe de prêtres à qui elle aurait communiqué, comme à ses filles, l'esprit de victime. Bientôt il devint le dépositaire des confidences et des secrets intimes de cette sainte âme. En même temps, il était en relations avec le Père Giraud et avec tous ceux que la grâce poussait dans la même voie. Partout c'était la même note qu’il entendait et sûrement donnait lui-même : crucifions-nous et obtenons de Dieu qu'I1 nous crucifie; à nous, toutes les peines, toutes les humiliations, toutes les abjections, toutes les morts, pourvu que Dieu soit glorifié et les âmes sauvées !
I1 sut se crucifier. A l'âge de dix-sept ans, son attrait pour la vie religieuse lui avait fait solliciter son admission au noviciat des Pères Jésuites. Au bout de six mois, il avait usé des mortification avec un si parfait entrain, qu'il dut, pour réparer sa santé épuisée, renoncer à ses beaux rêves et chercher, au sein de sa famille, deux années de repos et de soins. Des témoins dignes de foi nous assurent qu'à Villeneuve-lez-Avignon, où il était vicaire en même temps qu'aumônier des Sœurs Victimes, ses disciplines étaient fréquentes et effrayantes.
L'obéissance dans la vie religieuse tempéra cette sorte de haine qu'il avait de son propre corps, mais sans cependant la supprimer jamais complètement. Toutes ses journées se ressemblaient, avec la même régularité: C'étaient de longues heures d'adoration, agenouillé et sans appui.., c'étaient des repas insignifiants que, par toutes sortes d'industries, il essayait de rendre moins agréables encore au goût; c'étaient les chaînettes de fer qui gênaient ses mouvements et qu'au long de ses conférences quotidiennes aux novices, il rendait plus pénibles en les heurtant avec force à son pupitre.., c'étaient, quand il le pouvait, les égarements volontaires dans les orties du chemin.., c'étaient, au soir de journées pourtant bien remplies, de longues veilles encore devant le Saint-Sacrement.., et pour couronner le tout, une dure discipline, régulière et lente comme s'il se fut agi d'un autre que lui-même.., prolongée parfois, au point qu'un de ses novices, filialement indiscret, s'endormit un jour, en essayant d'en compter les coups...
Et le programme n'avait pas changé à ses soixante-treize ans. Rien de cela n'était nouveau pour nous, rapporte le R. P. Jean Guillaume, et rien ne pouvait nous étonner. Le vénéré Père vivait réellement les pieuses industries de la Prière universelle, auxquelles il s'était jadis initié — croyons-nous — auprès des Ursulines d'Aix-en-Provence. Toute sa vie traduira désormais les conclusions de ce remarquable document:
« Ne vous occupez plus que de Jésus, de ses intérêts, de ses membres; employez tout votre temps à cette Prière universelle qui est celle du Cœur de Jésus; perdez-vous vous-même de vue complètement, Jésus saura prendre soin de vous, si vous vous oubliez; celui qui perd son âme la trouvera. »
Le nom même qu'il s'était choisi n'était-il pas, d'ailleurs, une claire indication de ses projets ? S'il avait voulu se mettre sous la protection de saint André, c'était pour avoir une part toujours plus grande à son amour de la croix, parce qu'à son exemple, il la trouvait « admirable, désirable, tout embellie et illuminée par le choix qu'en avait fait le Sauveur. »
La mortification intérieure de notre Bon Père n'était pas moindre. La pratique de ses vœux lui en fournissait un champ déjà vaste. Son obéissance était celle d'un enfant quand l'autorité avait parlé; sa volonté disparaissait alors, ainsi que ses pensées et son jugement propre. Le souci d'une pureté virginale le guidait et lui était une source de sacrifices, faisant de son corps et de son âme « une hostie vivante, sainte, agréable à Dieu. » Quant à sa pauvreté, la plus délicate et la plus difficile des vertus dans la pratique quotidienne, elle tenait chez lui du prodige. Tout était misérable de ce qui lui servait, et la chambre qu'il habitait gardait toujours, par son entier dénuement, quelque chose d'effrayant. Pas de poêle, même au fort de l'hiver, une table dans un coin, un pauvre lit et deux chaises en constituaient d'ordinaire, tout l'ameublement et toute la décoration; encore tout ce qu'on lui donnait était-il toujours trop bien et trop beau. Et cela, sans discontinuer jamais. C'était un principe arrêté chez lui: chaque minute devait être marquée d'un sacrifice. Il vivait, montre en main, du matin au soir, avec cette pensée, avec cette recherche du sacrifice à offrir continuellement à Notre-Seigneur. C'est même, peut-être là, le trait le plus saillant de sa vie et qui supposait chez lui une volonté de fer. Un de ses fils spirituels lui soumettait un jour, le règlement de ses journées et lui disait: « Quand je voyage, je ne sais pas toujours à quoi me distraire. » Les paupières baissées du Père André se relevèrent alors, et dans ses yeux passa un bon sourire, nuancé d'étonnement interrogateur: « 0h, comment peut-il être question de distraction pour nous, prêtres et victimes ? » répliqua-t-il.
Dieu lui-même exauçait de mille manières ses demandes d'immolation. « Il n'y a que Dieu qui sache bien crucifier, » aimait-il à redire, d'ailleurs en connaissance de cause! Il eut aimé une vie adonnée à la contemplation, délibérément ensevelie et cachée. C'est sous cette impression qu'il renonça au ministère paroissial. Dès que M. l'Abbé Prévot eut connu les projets de Mère Marie Véronique, il en devint le pivot. Ses vertus, son esprit de victime, sa profonde piété le désignaient, en toute première ligne, pour ce rôle. Malgré son zèle ardent, ses essais de vie religieuse, nous l'avons vu, avaient échoué. De l'année 1883 à 1885, M. l'Abbé Prévot entretint une correspondance assez espacée, quoique suivie, avec le Père Dehon, mais sans encore oser se décider. Le vrai du vrai, c'est d'abord que le digne prêtre hésitait à se placer sous la juridiction de Sa Grandeur Mgr. Thibaudier, à cause des difficultés dont il a été question dans cet ouvrage, au chapitre intitulé: « Vers la vie réparatrice »; et, chose assez compréhensible à l'égard d'un Institut aussi jeune, rien n'était encore parvenu à ôter M. l'Abbé Prévot d'un doute, concernant l'Institut fondé par le Père Dehon. Y avait-il vraiment lieu de considérer la Congrégation naissante, comme une œuvre présentant déjà des garanties suffisantes d'organisation et de stabilité ? Saint-Quentin est si loin. . . comment en avoir le cœur net ? La question se posait évidemment de toute nécessité. Malgré le Décret du Saint Office, daté du 28 Novembre 1883, qui semblait avoir tranché la question.., en supprimant d'office l'Institut des Oblats du Sacré-Cœur. M. l'Abbé Prévot réservait son jugement.., qui sait ? une lueur d'espoir luira-t-elle peut-être de ce côté !. . Tandis que nous le voyons alors multiplier consultations sur consultations à ce sujet, les lettres réconfortantes du Père Galley, déjà novice au Sacré-Cœur de Saint-Quentin, et les paternelles interventions du Père Modeste, (S. J)., l'un de nos grands amis d'alors, le décident enfin à se mettre en route. Le 21 Mai 1885, l'Abbé Prévot arrive à Saint-Quentin, d'où il part bientôt pour Watersleyde. C'était l'époque où un premier groupe d'élèves des alentours et quelques Alsaciens venaient de se présenter à cette nouvelle école, comme une indication de la Providence. Les desseins du Ciel apparaissent maintenant ! Désormais le nom du Père André Prévot sera inséparable de notre première fondation de Hollande.
Du vivant de Mère Marie-Véronique, l’Institut des Victimes et le nôtre n'avaient pu être que parallèles, tant de discrétion s'imposait vis-à-vis de S. G. Monseigneur Thibaudier. La fusion ne put s'opérer qu'en 1884-1885, lorsque les disciples de la vénérée Mère furent entrés au Noviciat du Père Dehon. C'est chose faite ! Voici le Père André lui-même au port tant désiré ! Comme il fallait s'y attendre, Dieu Lui-même aide alors visiblement son serviteur à vivre la vie spéciale de victime à laquelle Il l'avait appelé. Sans mot dire et de bon coeur, la victime s'offre tu sacrifice, comme d'autres courent après les plaisirs. Toute sa vie, les soucis d'administration, le supériorat, les charges et les difficultés resteront son lot; innombrables apparaîtront donc ces occasions de sacrifice, pour lui qui prenait à la lettre le mot le sainte Sophie Barat: « Le Supérieur doit être le porte-croix de sa communauté. » Qui redira jamais ses peines intérieures constantes, ses inquiétudes, ses scrupules et les angoisses indicibles qui, sous les formes les plus variées, « usaient son âme, » non sans lui inspirer les pires désolations et les plus douloureuses terreurs ! Alors que les voix étaient unanimes de Marseille en Hollande à proclamer sa sainteté, alors que pour tant d'âmes douloureuses, le Père André était si suavement pacifiant, il semble qu'il ait eu comme un bandeau sur les yeux, en ce qui le concernait. Et ses troubles s'accumulaient, au nom soi-disant de la justice, de la charité, de l'obéissance, lui faisant sans cesse appréhender l'enfer au bout de son chemin... Puis c'était son caractère d'une inouïe vivacité et que Dieu ne devait modifier que peu à peu. Aux derniers temps de sa vie, il n'y aura plus chez lui, que douceur, bénignité et débonnaireté. Mais, que d'efforts et de victoires seront nécessaires pour en arriver là; ceux qui le connurent autrefois peuvent seuls en avoir l'idée.
Ce qui ajoutait à son mérite, c'est que jamais ou presque, son âme ne s'éclairait des célestes consolations, réservées d'ordinaire aux amis de Dieu. Pour lui, le ciel était obstinément d'airain. Dans le monde, il paraît qu'il jouît parfois de grâces et de dons extraordinaires, mais nous ne pensons pas qu'il en fut jamais question dans sa vie religieuse. La croix nue, toute nue, et la pure foi, il ne connaissait rien d'autre ! I1 vivait sans consolation ét, nous le savons, son désir était de mourir aussi sans l'ombre de consolation: « Deux minutes me seront accordées au moment de ma mort, nous confiait-il un jour, rapporte le Père Jean Guillaume: une, pendant laquelle me seront présentées toutes les consolations désirées pour moi, par tant de saintes âmes; une autre, pour que je puisse en faire un dernier sacrifice. »
Qu'en fut-il à cet instant suprême ? Dieu seul le sait, mais du moins, notre Bon Père ne variait pas dans ses désirs, car le dernier mot qu'il écrivit, le 22 Novembre 1913, avant d'être arrêté par la courte maladie qui devait nous le ravir, fut le suivant:
« Je renonce de bon cœur à toutes les consolations que je pourrais avoir, afin que vous en ayez un peu. »
Victime par vocation, le R. P. Prévot devait avoir pour mission de semer autour de lui l'idée et l'amour de la réparation et de la vie de victime. A ce point de vue, il fit un bien immense et qui restera, tant par les fonctions qu'il remplit dans notre Congrégation que par les nombreux livres et retraites spirituelles qu'il donna, dans ses dernières années. S'il est, dans une Congrégation à ses débuts, une fonction difficile, c'est assurément celle de Maître des novices. Il faut s'inspirer de l'esprit du Fondateur, pour le communiquer à tous, établir dans une pensée d'union commune pour l'avenir, des traditions qui durent, préparer les sujets à répondre à tous les plans et à toutes les intentions de la Providence, pour le jour où la manifestation s'en fera... En ce sens, dans les commencements d'une Œuvre, tout est à créer et à établir. Le R. P. André n'était pas de six mois dans la Congrégation que, le jugeant suffisamment imprégné de l'esprit qu'il entendait donner à son Œuvre, le T. R. P. Dehon l'appelait à ce poste délicat. Après sa profession, qui eut lieu en présence de Sa Grandeur Mgr. Thibaudier, le 22 Septembre 1885, le Père André Prévot exerça les fonctions de Maître des novices pendant vingt-cinq ans à Watersleyde, puis à Sittard, où il jeta les bases d'une maison, qui compte parmi les plus prospères; et quand la Congrégation se fut assez étendue pour nécessiter une répartition en Provinces, au noviciat transféré à Meslin-l'Evêque, pour le groupe franco-belge. Durant ce quart de siècle, presque tous les religieux d'un certain âge, que compte notre Congrégation, passèrent sous sa direction et furent formés par lui. C'est donc son esprit qui leur fut donné; c'est son exemple qu'ils eurent sous les yeux, comme le type accompli de la vocation à laquelle Dieu les appelait.
Le même rôle d'initiateur, il eut encore à l'exercer lors de l’établissement des Provinces, car il devint, en Janvier 1909, à la satisfaction de tous, notre premier Provincial. Il eut alors à redire à ses anciens novices, redevenus ses enfants, les leçons et les préceptes de jadis. Il put les encourager à suivre, sans dévier, l'austère chemin tracé aux premiers jours, avec toujours plus d'affectueuse générosité et de dévouement pratique aux oeuvres de Dieu. Il excella surtout à leur présenter le double but d'amour et de réparation vers lequel tous tendaient.
C'est à ce poste que le trouva, en Mai 1913, la confiance de ses Supérieurs et de ses frères, quand il s'agit de donner un successeur au regretté Père Charcosset dans la charge de premier assistant Général. Chacun espérait que ces nouvelles fonctions lui seraient une occasion d'étendre à toutes nos Maisons le bien qu'il n'avait cessé de faire autour de lui. Aussi la douleur fut-elle grande et les regrets unanimes, quand nous fut annoncée sa mort quasi imprévue, après une maladie de deux jours, en apparence bénigne. Nous étions désormais privés de celui que nous regardions comme un père toujours affectueux, comme un maître et un confident toujours sûr.
L'esprit de victime qu'il inculquait à ses frères en religion, Dieu voulut aussi qu'il le répandit au dehors. Ses instructions aux novices avaient été, peu à peu, se perfectionnant et, à la demande de plusieurs, livrées enfin à l'impression. Ce fut l'origine de livres nombreux, où dominent, avec la dévotion à Marie et au Coeur de Jésus, les meilleurs conseils pratiques et les plus pressants encouragements à la vie de victime , telle que le vénéré Père la comprenait. Là encore, les bénédictions de Dieu furent visibles. Plusieurs ont du être réédités de son vivant, d'autres ont été traduits ou le sont actuellement, en diverses langues. Tous portent à plus d'amour confiant pour Dieu, à plus de vrai détachement, à plus d'absolu renoncement et justifient cet éloge d'un pieux Evêque au sujet de l'un d'eux:
« J'ai recueilli plus d'un témoignage des âmes auxquelles j'avais recommandé votre livre, surtout des âmes consacrées à Dieu dans le sacerdoce et dans la vie religieuse, qui ont retiré de ces méditations, les plus grands fruits. »
Après l'avoir lu, on voulait le mieux connaître et parfois l'entendre. Ce fut l'occasion de correspondances suivies où il se donnait tout entier, avec le meilleur de son âme; et où se trouve, à chaque ligne, la marque sûre de sa sainteté et des généreuses ardeurs qu'il voulait communiquer, pour le pur amour de Dieu, la pure confiance et le pur abandon.
Ce fut aussi l'occasion des nombreuses retraites qui lui furent demandées, les cinq dernières années de sa vie, dans diverses Communautés de Belgique et de Hollande. I1 s'était fait une règle de ne jamais refuser la parole publique, malgré qu'on le priât parfois de s'épargner ce surcroît d'occupation et de fatigues. Sa voix était bien affaiblie cependant, ses forces bien épuisées, mais une Communauté religieuse, ou un groupe de prêtres lui apparaissaient comme un terrain choisi, où se pouvaient semer les chères pensées qui le hantaient, d'amour et d'immolation, pour la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes. Cette considération le faisait passer par-dessus tous les raisonnements d'une trop humaine prudence, et de fait, les résultats justifiaient ses pieuses témérités: « A le voir plus encore qu'à l'entendre, nous disait un jour le Supérieur d'une fervente abbaye, rapporte encore le Père Jean Guillaume, nous nous; sentions touchés et pressés de nous sanctifier. » C'était partout la bonne odeur de Jésus-Christ et la force entraînante d'héroïques exemples.
Dieu permettra-t-il une plus complète révélation d'une vie si belle et qui mérite tant d'être connue ? Nous en avons le filial désir et la ferme espérance. Ces pages n'auront esquissé de notre Bon Père, que ce qui fut le trait saillant de sa vie: Amour et sacrifice en esprit de réparation. C'est pour le rappeler, dans une description, de beaucoup supérieure au portrait que nous avons réussi à prendre de lui, qu'au moment de ses funérailles, nous avons fait imprimer sur son image mortuaire, ces paroles où il avait mis le meilleur de lui-même:
« Je tâcherai de me dire, dans toutes les occasions: il faut faire déborder la mesure de la charité ! Si l'amour-propre me dit: il faut défendre son droit, je répondrai: il faut faire déborder la mesure de la charité. Si la prudence de la chair prétend qu'il ne faut pas se prodiguer, pour ne pas perdre de sa valeur, je répondrai: il faut faire déborder la mesure de la charité. Puis, à mon tour, quand j'aurai besoin d'une aide, d'un conseil, d'une correction, d'une consolation, peut-être d'un pardon, d'un secours pour le corps ou pour l'âme, pour moi-même ou pour mes frères, j'irai à Jésus: Bon Maître, Vous avez promis de nous rendre la même mesure; il faut faire déborder, Vous aussi, la mesure de la charité !
«LE PERE DEHON ET SON OEUVRE »
(Les Colonnes de l’OEuvre page 283 et sq)

Sa dernière nuit (du mardi 25 au 26 novembre 1913)
Vers 11 h. 1/2 du soir, 1e bon P. André avertit son gardien qu'il n’avait plus besoin de rien, qu'il resterait à jeun pour communier le lendemain, et le pria de tourner le bouton électrique et d'aller se reposer. L'infirmier refusa de partir et d'éteindre les lumières. Il fallait voir clair en cas d'alerte et les ordres de son Supérieur étaient formels. Toutefois, pour montrer quelque déférence, il se retira dans la pièce contiguë où se trouvait le bureau du Bon Père. Celui-ci, n'entendant plus aucun mouvement, comprit que le Père infirmier veillait à ses côtés. Il le rappela : Père, êtes-vous fâché ?—Non, mon Père, je ne suis ja-mais fâché contre vous.—Pourquoi alors ne voulez-vous pas vous en aller ? Soyez bon avec moi; Père, soyez bon !
Le Père infirmier luttait difficilement contre son bon coeur.
Mais puisque la maladie n'offrait, semblait-il, rien d'alar-mant, il demanda au Bon Père de frapper légèrement à la cloison, en cas de nécessité, et il se retira dans sa chambre, tout près, laissant les portes ouvertes. Il s'étend simplement sur son lit, l'oreille aux écoutes. Il avait compté avec la prudence de son malade, mais non avec son amour. Mille fois et plus, le P. André s'était répété la parole souveraine, qui lui avait permis d'accomplir des prodiges de zèle, de mortification, de dévouement : «L’amour donne des forces !» Oui, l’Amour de Jésus qui se trouvait là, seul, dans son tabernacle, à quelques pas seulement de lui ! Quoi donc ? il n’aurait pas la force de tenter ces quelques pas ? Il n’irait pas, au milieu du silence, de la solitude et de la nuit lui rendre une petite visite, comme il l’avait fait tant de fois ?...Alors il se leva, frôla légèrement la cloison.
L’infirmier l’entendit et se prépara à sortir: mais pensant que le malade ne faisait qu'un mouvement dans son lit, il attendit. Et voilà que la porte du bureau, s'ouvrant tout à fait, grince et trahit une sortie du Bon Père. Aussitôt. l'infirmier est debout; il est hors de sa chambre; c'était trop tard pour conjurer un accident fatal. Le Bon Père criait déjà: « Père ! Père ! » et tombait à la renverse dans le couloir à deux ou trois pas de sa porte, laissant échapper sa montre qu'il tenait de la main droite avec son chapelet. L'infirmier était là, juste à temps pour amortir le coup et empêcher la tête de donner sur le plancher.
— « Mais, mon Père! que faites-vous ?—s'écrie l'infir-mier consterné. Où allez-vous ?» et sans parole, le Bon Père, de la main gauche montra la tribune de la chapelle. Comme le Père infirmier le prenait sous les bras pour le reconduire à son lit, il se dégagea pour marcher seul. Mais ce suprême effort avait consumé ses dernières forces, et, retombant, dans les bras de son gardien, il soupira: « je meurs! »
Très délicatement, le robuste infirmier le porta sur lit et pensa appeler le Père Maître. Celui-ci, intrigué par les bruits qu'il avait entendus (chute du corps et de la montre), levé aussitôt, était déjà près du malade ; « Je le trouvai sans connaissance, dit-il, les yeux ha-gards et s'efforçant très péniblement de respirer. Il n'a-vait plus le souffle rapide des heures précédentes. Je lui suggérai l'oraison jaculatoire: « Jésus, Marie, Joseph. » tandis que le Père infirmier allait réveiller la Commu-nauté.
On commença immédiatement les prières des agonisants, et, sans même les avoir achevées, on récita celles de la Recommandation de l’âme. Un quart d'heure ne s'était pas écoulé que le Révérend Père André, Réparateur et Victime, rendait sa belle âme à Jésus son Dieu et son ami. C'était le 26 Novembre 1913 à 0 heure 15 du matin.
Le corps du Vénéré et regretté défunt demeura exposé trois jours (mercredi, jeudi et vendredi) sans inconvénient. Le Bourgmestre de Brugelette délivra un permis d'inhumer «le saint père André Prévot» - disait le texte - et les funérailles eurent lieu le 29 novembre, à 10 h. et demi du matin.
On prit la route du petit village de Mévergnies, dont dépend la résidence de Frésignies, et, après une nouvelle absoute, le corps fut déposé, provisoirement, dans le tombeau de la famille Scouvémont, derrière la chapelle de l’Immaculée Conception, à gauche du choeur.
C’est là que repose, encore maintenant, sous le manteau virginal de sa mère bien-aimée, le P.R. André Léon Prévot, Prêtre du Sacré-Coeur en attendant des jours plus glorieux pour lui et pour la Sainte Eglise.
(Extrait de «Vers le Cloître et la sainteté» du Père Georges BERTRAND scj)
(Le REGNE N° 12 de 1923)


Mon saint assistant, le P. André, est mort. Le P. Dehon a un très beau souvenir du P. André Prévot, maître des novices de 1886 à 1909, et supérieur provincial de 1909 jusqu'en 1913. «Il n'y a qu'une voix à son sujet, écrit-il: c'était un saint». «Notre saint est mort», écrit-il encore, annonçant sa mort aux Soeurs Victimes de Namur: «toujours priant, toujours s'immolant, toujours patient et doux. Il n'a été malade que trois jours. Son corps était usé. Un simple refroidissement a vite dégénéré en phtisie galopante. C'est mercredi matin qu'il est mort. Nous pensons tous qu'il a dû célébrer au ciel la fête de St André son patron. Il faut cependant prier pour lui...
Quelle vie bien remplie. Il continuera à faire le bien par ses livres qui se vendent beaucoup.
Il doit être maintenant en longue conversation avec votre sainte Mère» (lettre du 30.11.1913).
«Nous préparons la vie du P. André, dit encore le P. Dehon; c'est un saint. Un pieux religieux nous a dit: une Congrégation qui a un saint de cette trempe-là dans ses fondements est sûre de son avenir» (NQ XLIII,109).
(NQ5 page 571 Note 16)


AVANT-PROPOS, EXERGUE - CAUSES INTRODUITES