Le P. G. Raaijmakers a vécu
et travaillé à Rome de 1954 à 1987,
soit 33 ans de sa vie sacerdotale. Ordonné, en effet, en
1933, il fut élu conseiller général du P.
Lellig en janvier 1954 et réélu, en 1959, comme
conseiller du P. De Palma jusqu'en 1967, remplissant en outre
pendant ces deux mandats la charge de secrétaire général.
Selon les Constitutions alors en vigueur, le secrétaire
général était élu par le Chapitre
général parmi ou hors du Conseil lui-même.
Le présent témoignage ne peut guère porter
que sur les vingt ans qui ont suivi ce double mandat. En 1961.
le P. Raaijmakers, conformément aux nouvelles dispositions
des Constitutions, fut nommé secrétaire général
par le nouveau Supérieur général après
consultation de son Conseil (cf. documenta VII n. 550 et Directoire
général n. 132). Toujours prévoyant et ordonné
dans son entière disponibilité il accepta cette
nomination, "au moins pour deux ans, précisa-t-il,
le temps de mettre au courant le Conseil, alors entièrement
nouveau et novice", mais, ajouta-t-il, il faut penser à
trouver quelqu'un qui soit capable, après une initiation
convenable, de me remplacer, car j'ai déjà plus
de 60 ans".
Nous avons beaucoup apprécié cette disponibilité
prévoyante. Le P. Raaijmakers était alors l'unique
"survivant" et permanent de l'administration précédente
et certainement celui qui était le plus au courant des
affaires de la situation des personnes, des maisons et des Provinces
ainsi que de la procédure à suivre pour l'administration.
Personnellement, je garde le meilleur souvenir de nos entretiens
quotidiens, à 9 h 30 exactement, pour l'organisation du
travail, les signatures à donner, la documentation sur
les affaires en cours. Admirable a paru aussi la discrétion
du P. Raaijmakers, ancien conseiller général pendant
plus de douze ans, pour respecter la liberté et l'initiative
de réflexion du Conseil général en charge,
n'intervenant de lui-même que pour des rappels techniques.
Mais, plus d'une fois, en conversation privée, son expérience
et sa prudence m'ont été d'un grand secours. Nous
lui devons d'avoir pu affronter le travail sans trop d'inquiétude
et d'incertitude.
Il est certain que les mutations qu'il constatait depuis le Chapitre
de 1966 n'étaient pas sans le surprendre un peu, mais son
esprit de foi et son amour profond de la Congrégation le
garantissaient de toute amertume et de tout regret inutile. Je
ne crois pas l'avoir jamais entendu critiquer les orientations
et pratiques nouvelles. Il constatait et sans doute souffrait
un peu dans son goût de l'ordre et de la règle traditionnelle,
mais sa collaboration était sans réticence. Et pourtant,
Dieu sait si la situation et la manière de l'affronter
ou simplement de la vivre devaient sinon le désorienter
- on désorientait difficilement le P. Raaijmakers -du moins
le surprendre et peut-être lui coûter quelque peu.
Ainsi pour l'unification progressive des deux communautés
de la Curie et du Collège, qu'imposaient les circonstances,
pendant les vacances d'abord (l'exil disait-il!), puis définitivement
et toute l'année. Mais il s'adaptait et jamais pour autant
n'entra en crise, comme on disait, continuant dans sa fidélité
au travail, son équilibre étant aussi garanti par
ses petites habitudes de vie régulière bien organisée.
Je crois qu'en cela aussi le P. Raaijmakers nous a beaucoup aidés,
à la fois pour relativiser les choses et pour les traiter
aussi objectivement que possible, dans une prudence sans trop
de timidité, par son esprit de foi et je le répète,
son profond amour de la Congrégation.
Finalement c'est cet amour qui m'a le plus frappé et édifié.
Certes sans de grands discours enflammés -ce n'était
guère son genre -, mais dans le comportement et surtout
dans le travail quotidien. J'avoue que ce n'est pas sans émotion
que je me remémore la bénédiction quotidienne
qu'en entrant, à 9 h 30 précises, il demandait à
genoux au Supérieur général avant de s'asseoir
pour le travail. Vieille habitude et antique coutume qui, sans
doute, peut faire sourire aujourd'hui, mais je dois dire que je
ne voyais pas cela sans signification pour le travail que nous
avions à faire ensemble, si matériel et technique
fut-il parfois...
C'est à travers de telles petites choses ou petits gestes
que l'on pouvait, je crois, connaître le P. Raaijmakers
dans sa vie spirituelle et sa vie religieuse: sa régularité
adaptée à son âge et à son travail,
sa disponibilité constante, sa bonne humeur, même
à travers son absence de véritable humour. On le
plaisantait sur ses petites habitudes et il ne s'en offusquait
pas mais au contraire s'y prêtait volontiers pour la joie
des plus jeunes. Avec cela, nonobstant un horaire réglé
et minutieux et une vie assez retirée, un homme de communauté
qui ne manquait pas une réunion de la communauté
ou des confrères hollandais au Collège ou en ville
y participant activement, dans la mesure de ses moyens et les
convenances de son âge, avec son cigare ou sa pipe,. son
petit verre de "Stock" et son bon sourire, attentif
même quand il ne comprenait pas tout à fait ce qui
se disait ou se passait.
Impossible de raconter ici les mille petites histoires (ou légendes)
de son exactitude horlogère, de ses habitudes alimentaires
ou autres, de ses saillies et de ses réactions mais aussi
de ses mille petites attentions aux personnes et aux choses. Sa
mémoire était à peu près infaillible
pour les anniversaires, soigneusement notés dans son agenda;
sûrement chaque jour consulté dans la préparation
de la journée, et bien sûr, il ne manquait pas, parfois
le premier ou le seul, à offrir ses voeux aux intéressés;
petit signe d'amitié et de fraternité qui, pour
lui, certainement n'allait pas non plus sans prière à
sa manière. Il avait, dans Fr. Silvestro, disait-il, son
"ange gardien", pour mille petits services et quelques
petits sermons. Fr. Ruggero en était un autre d'un dévouement
quotidien et... sans sermons. Enfin, le P. Raaijmakers n'était
pas seulement une horloge, mais un coeur: on l'a vu les yeux pleins
de larmes (oh discrètement, mais c'est tout de même
rare entre religieux!) à la mort subite de son compatriote.
le Fr. Jos. Mertens! Et ce n'était certes pas par quelque
sensiblerie sénile!
En 1970. selon le programme établi en 1967, il avait pu
aider à trouver son successeur et le P. Gindt fut nommé
secrétaire général. Il propose alors au P.Général
de se charger de l'organisation des archives et de la bibliothèque
de la Congrégation: "Si le Bon Dieu me donne encore
dix ans de vie, dit-il, il y a bien là du travail pour
dix ans!" Il aimait certes sa vie et sa communauté
de Rome et aurait redouté de devoir la quitter. Mais il
était aussi certainement l'homme le plus capable d'un travail
et l'on sait avec quelle exactitude il a su l'accomplir jusqu'au
dernier moment; et cela non pas seulement par satisfaction personnelle,
mais vraiment au service de tous et de chacun. Quel avantage de
pouvoir lui demander un renseignement ou quelque documentation
pour une affaire, un article ou quelque conférence. Il
jubilait de rendre service et fournissait des dossiers précis
et complets. Que de recherches il a ainsi faites, non seulement
pour l'établissement du nécrologe du premier centenaire
de la Congrégation (quatre ans de travail et de correspondance
tous azimuts!), mais pour les besoins quotidiens de la Curie,
du Centre dEtudes ou des étudiants en mal de thèse!
Qui a visité son domaine de la bibliothèque ou des
archives a pu imaginer le temps que, non pas pendant dix ans,
mais dix-sept ans, le P. Rajmakers a pu et su consacrer à
ce travail: de 9 h 30 à 12 h 30, de 17 h à 19 h
et de 22 h à 24 h, chaque jour ouvrable, avec les adaptations
d'horaires exigées par les saisons, la vie communautaire
ou, dans les dernières années, l'âge et les
petites infirmités. Mais, plus étonnant encore que
les archives, l'archiviste étonnait par sa mémoire,
même en ses vieux jours, à l'épreuve des questions
parfois insidieuses que l'on s'amusait à lui poser; et
une mémoire humaine et sensible que, certes, ne suppléera
jamais celle du "computer" plus rapide et plus abondamment
fournie. En ce sens, on n'a pas fini d'évoquer et de regretter,
à la Curie et dans la communauté, le souvenir et
la présence du P Raaijmakers.
Ce fut une véritable surprise d'apprendre en septembre
dernier, que, parti pour une bénigne opération de
la cataracte, il s'était découvert cancéreux
et déjà condamné. De son dernier petit séjour
à Rome en novembre, pour mettre ordre à ses affaires,
on se souviendra longtemps. Affaibli, certes, et conscient de
son état, mais le même P Raaijmakers qui, une fois
de plus, avait fait entrer l'échéance, plus ou moins
rapprochée, dans son programme, avec la même disponibilité
qui avait été celle de toute sa vie. Comment ne
pas penser que ce n'était pas seulement affaire de tempérament
et d'habitude, mais le fruit de cet esprit d'abandon et d'oblation
que, sans le théoriser certes, il vivait jusque dans son
exactitude et ses petites habitudes. Cela impressionnait en une
telle situation, et l'affection s'est, aussi et surtout pour les
plus jeunes peut-être, tournée en vénération.
Lui qui, par nécessité et aussi, sans doute, par
goût et par habitude, ne concélébrait jamais,
a présidé gentiment la concélébration
d'adieu et le "brindisi" d'adieu, avec cigare et "Stock",
chansons et petits compliments : quelque chose de gentil et d'intime,
dont on voyait bien qu'il était profondément ému.
Il est parti, content d'avoir mis ordre à tout, sans manifestation
dramatique. mais comme pour un dernier rendez-vous auquel il ne
faut pas non plus être inexact. ni à l'aéroport,
ni à la porte du paradis. Autant que nous sachions, il
a dû mourir comme il avait vécu : comme un bon serviteur,
fidèle dans les petites choses comme dans les grandes.
Il faut sûrement beaucoup de vertu et sans doute aussi beaucoup
damour. quoi quil paraisse, pour une telle exactitude
et une telle fidélité.
A. BOURGEOIS scj
AVANT-PROPOS,
EXERGUE - CAUSES
INTRODUITES