Le Père RAAIJMAXERS Gerardus
(Stanislaus Kostka)
(1906 -1988)

Né le 01.09.1906 à
Profès le 08.09.1926 à
Prêtre le 16.07.1933 à
Cons. gén (1954-1967)
Secrét. gén. (1954-1967)

 

Le P. G. Raaijmakers a vécu et travaillé à Rome de 1954 à 1987, soit 33 ans de sa vie sacerdotale. Ordonné, en effet, en 1933, il fut élu conseiller général du P. Lellig en janvier 1954 et réélu, en 1959, comme conseiller du P. De Palma jusqu'en 1967, remplissant en outre pendant ces deux mandats la charge de secrétaire général. Selon les Constitutions alors en vigueur, le secrétaire général était élu par le Chapitre général parmi ou hors du Conseil lui-même.
Le présent témoignage ne peut guère porter que sur les vingt ans qui ont suivi ce double mandat. En 1961. le P. Raaijmakers, conformément aux nouvelles dispositions des Constitutions, fut nommé secrétaire général par le nouveau Supérieur général après consultation de son Conseil (cf. documenta VII n. 550 et Directoire général n. 132). Toujours prévoyant et ordonné dans son entière disponibilité il accepta cette nomination, "au moins pour deux ans, précisa-t-il, le temps de mettre au courant le Conseil, alors entièrement nouveau et novice", mais, ajouta-t-il, il faut penser à trouver quelqu'un qui soit capable, après une initiation convenable, de me remplacer, car j'ai déjà plus de 60 ans".
Nous avons beaucoup apprécié cette disponibilité prévoyante. Le P. Raaijmakers était alors l'unique "survivant" et permanent de l'administration précédente et certainement celui qui était le plus au courant des affaires de la situation des personnes, des maisons et des Provinces ainsi que de la procédure à suivre pour l'administration. Personnellement, je garde le meilleur souvenir de nos entretiens quotidiens, à 9 h 30 exactement, pour l'organisation du travail, les signatures à donner, la documentation sur les affaires en cours. Admirable a paru aussi la discrétion du P. Raaijmakers, ancien conseiller général pendant plus de douze ans, pour respecter la liberté et l'initiative de réflexion du Conseil général en charge, n'intervenant de lui-même que pour des rappels techniques. Mais, plus d'une fois, en conversation privée, son expérience et sa prudence m'ont été d'un grand secours. Nous lui devons d'avoir pu affronter le travail sans trop d'inquiétude et d'incertitude.
Il est certain que les mutations qu'il constatait depuis le Chapitre de 1966 n'étaient pas sans le surprendre un peu, mais son esprit de foi et son amour profond de la Congrégation le garantissaient de toute amertume et de tout regret inutile. Je ne crois pas l'avoir jamais entendu critiquer les orientations et pratiques nouvelles. Il constatait et sans doute souffrait un peu dans son goût de l'ordre et de la règle traditionnelle, mais sa collaboration était sans réticence. Et pourtant, Dieu sait si la situation et la manière de l'affronter ou simplement de la vivre devaient sinon le désorienter - on désorientait difficilement le P. Raaijmakers -du moins le surprendre et peut-être lui coûter quelque peu. Ainsi pour l'unification progressive des deux communautés de la Curie et du Collège, qu'imposaient les circonstances, pendant les vacances d'abord (l'exil disait-il!), puis définitivement et toute l'année. Mais il s'adaptait et jamais pour autant n'entra en crise, comme on disait, continuant dans sa fidélité au travail, son équilibre étant aussi garanti par ses petites habitudes de vie régulière bien organisée. Je crois qu'en cela aussi le P. Raaijmakers nous a beaucoup aidés, à la fois pour relativiser les choses et pour les traiter aussi objectivement que possible, dans une prudence sans trop de timidité, par son esprit de foi et je le répète, son profond amour de la Congrégation.
Finalement c'est cet amour qui m'a le plus frappé et édifié. Certes sans de grands discours enflammés -ce n'était guère son genre -, mais dans le comportement et surtout dans le travail quotidien. J'avoue que ce n'est pas sans émotion que je me remémore la bénédiction quotidienne qu'en entrant, à 9 h 30 précises, il demandait à genoux au Supérieur général avant de s'asseoir pour le travail. Vieille habitude et antique coutume qui, sans doute, peut faire sourire aujourd'hui, mais je dois dire que je ne voyais pas cela sans signification pour le travail que nous avions à faire ensemble, si matériel et technique fut-il parfois...
C'est à travers de telles petites choses ou petits gestes que l'on pouvait, je crois, connaître le P. Raaijmakers dans sa vie spirituelle et sa vie religieuse: sa régularité adaptée à son âge et à son travail, sa disponibilité constante, sa bonne humeur, même à travers son absence de véritable humour. On le plaisantait sur ses petites habitudes et il ne s'en offusquait pas mais au contraire s'y prêtait volontiers pour la joie des plus jeunes. Avec cela, nonobstant un horaire réglé et minutieux et une vie assez retirée, un homme de communauté qui ne manquait pas une réunion de la communauté ou des confrères hollandais au Collège ou en ville y participant activement, dans la mesure de ses moyens et les convenances de son âge, avec son cigare ou sa pipe,. son petit verre de "Stock" et son bon sourire, attentif même quand il ne comprenait pas tout à fait ce qui se disait ou se passait.
Impossible de raconter ici les mille petites histoires (ou légendes) de son exactitude horlogère, de ses habitudes alimentaires ou autres, de ses saillies et de ses réactions mais aussi de ses mille petites attentions aux personnes et aux choses. Sa mémoire était à peu près infaillible pour les anniversaires, soigneusement notés dans son agenda; sûrement chaque jour consulté dans la préparation de la journée, et bien sûr, il ne manquait pas, parfois le premier ou le seul, à offrir ses voeux aux intéressés; petit signe d'amitié et de fraternité qui, pour lui, certainement n'allait pas non plus sans prière à sa manière. Il avait, dans Fr. Silvestro, disait-il, son "ange gardien", pour mille petits services et quelques petits sermons. Fr. Ruggero en était un autre d'un dévouement quotidien et... sans sermons. Enfin, le P. Raaijmakers n'était pas seulement une horloge, mais un coeur: on l'a vu les yeux pleins de larmes (oh discrètement, mais c'est tout de même rare entre religieux!) à la mort subite de son compatriote. le Fr. Jos. Mertens! Et ce n'était certes pas par quelque sensiblerie sénile!
En 1970. selon le programme établi en 1967, il avait pu aider à trouver son successeur et le P. Gindt fut nommé secrétaire général. Il propose alors au P.Général de se charger de l'organisation des archives et de la bibliothèque de la Congrégation: "Si le Bon Dieu me donne encore dix ans de vie, dit-il, il y a bien là du travail pour dix ans!" Il aimait certes sa vie et sa communauté de Rome et aurait redouté de devoir la quitter. Mais il était aussi certainement l'homme le plus capable d'un travail et l'on sait avec quelle exactitude il a su l'accomplir jusqu'au dernier moment; et cela non pas seulement par satisfaction personnelle, mais vraiment au service de tous et de chacun. Quel avantage de pouvoir lui demander un renseignement ou quelque documentation pour une affaire, un article ou quelque conférence. Il jubilait de rendre service et fournissait des dossiers précis et complets. Que de recherches il a ainsi faites, non seulement pour l'établissement du nécrologe du premier centenaire de la Congrégation (quatre ans de travail et de correspondance tous azimuts!), mais pour les besoins quotidiens de la Curie, du Centre d’Etudes ou des étudiants en mal de thèse! Qui a visité son domaine de la bibliothèque ou des archives a pu imaginer le temps que, non pas pendant dix ans, mais dix-sept ans, le P. Rajmakers a pu et su consacrer à ce travail: de 9 h 30 à 12 h 30, de 17 h à 19 h et de 22 h à 24 h, chaque jour ouvrable, avec les adaptations d'horaires exigées par les saisons, la vie communautaire ou, dans les dernières années, l'âge et les petites infirmités. Mais, plus étonnant encore que les archives, l'archiviste étonnait par sa mémoire, même en ses vieux jours, à l'épreuve des questions parfois insidieuses que l'on s'amusait à lui poser; et une mémoire humaine et sensible que, certes, ne suppléera jamais celle du "computer" plus rapide et plus abondamment fournie. En ce sens, on n'a pas fini d'évoquer et de regretter, à la Curie et dans la communauté, le souvenir et la présence du P Raaijmakers.
Ce fut une véritable surprise d'apprendre en septembre dernier, que, parti pour une bénigne opération de la cataracte, il s'était découvert cancéreux et déjà condamné. De son dernier petit séjour à Rome en novembre, pour mettre ordre à ses affaires, on se souviendra longtemps. Affaibli, certes, et conscient de son état, mais le même P Raaijmakers qui, une fois de plus, avait fait entrer l'échéance, plus ou moins rapprochée, dans son programme, avec la même disponibilité qui avait été celle de toute sa vie. Comment ne pas penser que ce n'était pas seulement affaire de tempérament et d'habitude, mais le fruit de cet esprit d'abandon et d'oblation que, sans le théoriser certes, il vivait jusque dans son exactitude et ses petites habitudes. Cela impressionnait en une telle situation, et l'affection s'est, aussi et surtout pour les plus jeunes peut-être, tournée en vénération. Lui qui, par nécessité et aussi, sans doute, par goût et par habitude, ne concélébrait jamais, a présidé gentiment la concélébration d'adieu et le "brindisi" d'adieu, avec cigare et "Stock", chansons et petits compliments : quelque chose de gentil et d'intime, dont on voyait bien qu'il était profondément ému.
Il est parti, content d'avoir mis ordre à tout, sans manifestation dramatique. mais comme pour un dernier rendez-vous auquel il ne faut pas non plus être inexact. ni à l'aéroport, ni à la porte du paradis. Autant que nous sachions, il a dû mourir comme il avait vécu : comme un bon serviteur, fidèle dans les petites choses comme dans les grandes. Il faut sûrement beaucoup de vertu et sans doute aussi beaucoup d’amour. quoi qu’il paraisse, pour une telle exactitude et une telle fidélité.
A. BOURGEOIS scj


AVANT-PROPOS, EXERGUE - CAUSES INTRODUITES