Subitement, jeudi soir,
le 18 février, au cours du
repas, sans que personne ne s'y attende, doucement, sans cri,
le Père Paul Ravot nous a quittés. I1 s'est éteint,
un peu comme une lampe qui a épuisé son huile. I1
s'est endormi et, nous pouvons le dire, il s'est endormi dans
le Seigneur.
Depuis de nombreuses années déjà, depuis
1972 où il avait été opéré
d'un cancer à la gorge, il n'avait cessé de lutter,
de faire effort pour manger, pour respirer la nuit, pour se faire
entendre de son entourage, pour remplacer cette salive qui lui
faisait défaut. Paul était un énergique,
je dirais même un perfectionniste. I1 affirmait volontiers
qu'il était un dur, un dur au coeur tendre, pourtant.
De cette tendresse, ce bisontin né en 1917 en éprouvait
un réel besoin, probablement depuis qu'à l'âge
de 6 ans il avait perdu sa mère. I1 comprit alors par expérience
ce que c'est que d'être privé d'affections, de ne
pas avoir quelqu'un sur qui pouvoir s'appuyer. Et c'est sans doute
ce qui lui permettra par la suite d'être si attentif à
ceux qui lui paraissaient subir quelquinjustice, quelque
rejet, quelque mépris de la part de leur entourage, car
il savait également ce que c'est que d'avoir sa petite
fierté.
Ce deuil fut l'événement dont se servit la Providence
pour lui faire connaître notre Congrégation puisqu'il
rejoignit notre orphelinat de Domois, près de Dijon. C'est
là que, peu à peu, lui vint l'idée de devenir
prêtre, prêtre chez nous. I1 fera ses études
successivement à Blaugies et à Viry puis de nouveau
à Domois, où s'était établi le Séminaire
St François Xavier, pour ce qu'on appelait alors les vocations
tardives. Ses études, il a des difficultés à
les terminer, mais il veut à tout prix devenir prêtre
et aucun obstacle ne semble le décourager. II aime d'ailleurs
réfléchir. Toute sa vie, il sera en recherche de
certitudes et il sentira le besoin de les manifester aux autres
avec passion, peut-être pour s'en convaincre lui-même
davantage.
C'est à Amiens, en septembre 1936, qu'il fait profession.
Deux années de philosophie à Lille puis son supérieur
d'alors, le Père Legay, l'emmène avec lui à
Neussargues dans le Cantal pour s'occuper des premiers élèves
de cette nouvelle école apostolique qu'il vient de fonder.
Une année à peine se passe et la guerre l'appelle
sous les drapeaux, une guerre qui, pour lui, signifiera cinq années
de stalag en Allemagne, jusqu'à ce que les Russes le fassent
sortir du métro de Berlin où il avait dû se
terrer pendant plusieurs semaines. I1 en parlait souvent.
Revenu en France, il poursuit sa théologie à Uriage
près de Grenoble, où il est ordonné prêtre
en 1948. A 32 ans, il part au Cameroun. Ses débuts, il
les fera surtout comme directeur d'école: deux ou trois
ans successivement à Bonabéri, Batang, Dschang et
Bafou. Mais cela ne l'empêchera pas de faire régulièrement,
comme tout missionnaire, la tournée des chapelles de brousse.
En 1954, le voilà supérieur de la mission de Njombé.
I1 y trouvera sa vocation de bâtisseur. I1 construit l'église,
et une église qui a du style. I1 est plutôt un manuel
et au moins il a la consolation de voir les résultats de
ses efforts.
Bientôt c'est la période des troubles qui ont précédé
et suivi l'indépendance du Cameroun. Un jour il se trouvera
complètement isolé au milieu du maquis. Mais un
des chefs de ce maquis, dont il n'a pas hésité à
se dire toujours l'ami, le protège, jusqu'à ce que
l'armée française vienne le libérer. Après
ces événements tragiques, il restera deux années
en France, dans la paix et la tranquillité du Doyenné
de Chef-Boutonne, dans les Deux-Sèvres, à Gournay.
Mais la nostalgie de son pays d'adoption le pousse à repartir
au Cameroun en 1963. Après quelques courts séjours
à Bafoussam, Dschang, Batou, on lui confie la mission de
Baletet. Là tout était à faire. Aidé
de généreux bienfaiteurs de Suisse, il construit
l'église, le presbytère, les écoles. I1 était
dans son élément quand brusquement, en 1972, il
doit rentrer en France pour se faire opérer et soigner
d'un cancer à la gorge. Cela ne l'empêche pas de
repartir en mission au bout d'un an. I1 travaillera alors successivement
à Bankouop et à Bandjoun. Peu de temps cependant
car sa santé continue à s'affaiblir et en 1976,
c'est le retour définitif.
Un premier séjour, ici même à Mougins en 77-78
le laisse insatisfait. I1 n'est pas mûr encore pour la retraite.
I1 part pour notre maison de Viry où il pourra rendre de
multiples services. I1 se chargera en particulier de l'entretien
du grand parc de la propriété. Un nouveau ministère
aussi s'ouvre à lui, qui éclairera ses dernières
années d'activité. I1 devient l'aumônier des
Soeurs qui s'occupent de la Maison d'Arrêt des femmes à
Fleury Mérogis, il sera même, durant 18 mois, l'aumônier
de ce Centre. I1 se trouve ainsi mis en relation avec des personnes
surtout de milieu populaire, marginalisées, avec ceux sur
qui le regard du Christ aimait à se poser: les exclus,
les méprisés, ceux qui ont manqué d'amour.
Avec elles, il se sentira vraiment à l'aise, moins cependant
avec les contraintes du règlement. De ce ministère,
il gardera un excellent souvenir et ici encore, il continuait
à entretenir une abondante correspondance avec certains,
avec certaines d'entre elles.
C'est à la fin de 85 qu'il revient à Mougins, déjà
bien affaibli. Ici sa vie se passe à prier, à se
reposer, à prendre soin avec tendresse et fierté
des fleurs de la propriété. Trois fois par semaine,
il va aussi au centre Hélio-Marin de Vallauris dont il
assure l'aumônerie.
"De la mort subite et imprévue, délivre-nous,
Seigneur" chantons nous dans les litanies. Si sa mort a été
subite, elle n'a pas été imprévue. Par deux
fois déjà, le Père Paul avait connu un incident
de ce genre et il savait que le Seigneur viendrait, comme un voleur,
sans doute, mais surtout comme le Père dont découle
toute vraie paternité, tout amour vrai.
P. Antoine Werlen scj
AVANT-PROPOS,
EXERGUE - CAUSES
INTRODUITES