"Surprise":
l'annonce du décès du Père Armand Schwall en
fut une; on le savait déjà souffrant depuis longtemps,
privé pratiquement de la vue, et obligé à une
surveillance médicale quasi constante, qui l'avait contraint
à quitter son presbytère pour une prise en charge
sanitaire. Pour un certain nombre de confrères de la province
française, le Père Armand était un "inconnu":
les uns l'avaient seulement aperçu lors d'un congé
en Europe; d'autres n'eurent jamais l'occasion de le rencontrer,
d'autres enfin ne le connaissaient que par "oui-dire",
puisque le Père Schwall, de nationalité luxembourgeoise
était rentré au Luxembourg à son retour du
Cameroun. Il était chargé de la communauté
paroissiale de Bourglinyster. En 1979, suite à un décret
du Père Général et à la demande du Père
Provincial de Luxembourg-Wallonie, dans son souci de réorganiser
la Province, le Père avait rejoint cette Province.
C'est là que le Seigneur est venu le rappeler à Lui,
subitement: on l'a découvert un matin inanimé dans
son lit.
Il a été inhumé le 16 septembre dernier, après
le Sacrifice de la messe offert dans 1'Eglise de sa paroisse, sous
la présidence de Mgr 1'Evêque de Luxembourg, en présence
de quelques membres de sa famille et d'un certain nombre de confrères,
religieux scj, qui avaient connu le Père Schwall, soit en
cours d'études, soit au cours de sa vie missionnaire au Cameroun.
Jusqu'ici rien que de très ordinaire qui s'apparente de près
ou de loin à la vie religieuse et sacerdotale de la plupart
d'entre nous.
C'est pourquoi j'ai accepté d'écrire ce petit billet
à la demande du P. Provincial L-W, le jour même des
obsèques du Père Schwall, le 16.9 dernier.
A quel titre? Aucun titre spécial, si ce n'est le fait que
nous avons vécu seuls, tous Ies deux, pendant 5 années
consécutives dans le même poste de mission à
Nyombé au Cameroun. Aucun talent littéraire, mais
une vraie et solide amitié forgée, jour après
jour au creuset de lexpérience et de la souffrance,
comme l'on dit: pour le meilleur et pour le pire au service du Seigneur.
Qui donc était le P. A.Schwall ?
Après ses études secondaires à Clairefontaine,
il arrive en France au début de la guerre 39-45; il fit son
noviciat et ses études de théologie malgré
les pérégrinations exigées par la guerre entre
1941 et 1947. Il fut alors ordonné prêtre au sanctuaire
marial de La Salette en juillet 1946 par Mgr Vittoz, évêque
auxiliaire de Grenoble, le scolasticat étant encore à
Uriage avant de s'installer à Lyon.
Puis ce fut, après de courts séjours à Neussargues
et Amnéville, le grand départ pour le Cameroun en
octobre 1950, où il fut successivement affecté à
plusieurs postes par Mgr Bouque. Trois postes accaparèrent
la majeure partie de sa vie missionnaire: Bakomako, Nyombé;
Nkala, puis deux séjours dans les postes de Loum-Chantier
et Babadjou. Puis ce fut le retour en Europe où il regagna
son pays où l'avait déjà précédé
le Père Willy Roettgers, également missionnaire au
Cameroun.
Le Père Armand ? Un authentique missionnaire dans toute l'acception
du terme: l'homme qui fait tout, l'homme qui supporte et souffre
tout, sans rien dire parce que c'est normal. A mon arrivée
à Nyombe, j'ai trouvé le P. Armand qui remplissait
les fonctions de directeur d'école: fonction qu'il me céda
peu après pour devenir tout à la fois: catéchiste,
constructeur, planteur, président de syndicat agricole, sans
négliger le cas échéant, le rôle de mécanicien,
de chauffeur, de menuisier ou de cuisinier: c'était là
le rôle de tout missionnaire, qui, ignorant et incompétent
en arrivant apprenait "sur le tas" tout ce qui lui était
indispensable: là aussi le P. Armand était toujours
l'homme de la situation et lorsqu'on lui avait confié une
chose, on pouvait lui faire confiance: : on savait que la chose
serait faite et bien faite, et qu'il n'y avait pas à y revenir.
C'est ainsi que Mgr Bouque nous avait demandé de penser à
la construction de l'église définitive, mais que faire,
quand on n'est pas fortuné ? Le P. Armand contacta un de
ses amis, curé au Luxembourg qui lui envoya un chèque
de 50 000 F.B. de l'époque - c'était en 1956 - monnaie
forte à l'époque qui nous permit d'acheter aussitôt
10 000 parpaings de ciment, de faire faire des plans d'architecte,
et de commencer les fondations. Cela devait finalement aboutir à
la magnifique église de Nyombé que l'on peut admirer
aujourd'hui.
Le missionnaire a besoin de tout un "quota" de capacités
inemployées en Europe, parce que sans objet. C'est ce dont
a dû se rendre compte le Père Armand à son arrivée
à Bakomako en 1950. C'était sa première affectation
de jeune missionnaire: un poste de montagne, en pleine brousse;
sans route, sans voiture, où tous les transports se faisaient
à tête d'homme; visite des postes secondaires à
pied avec porteurs et bagages: de la valise-chapelle, à la
cantine-popote, sans oublier literie et lampe-tempête!
Que de fois, le P. Armand a dû se souvenir du four à
briques dont il fallait alimenter le feu jour et nuit pour cuire
les briques nécessaires à la construction et à
l'extension du poste central résidentiel: c'était
il y a 33 ans, au temps du missionnaire défricheur: le P.
Armand en était.
Mais tout cela n'était que préoccupations banales
à côté de ce qui allait se produire par la suite.
Les premières difficultés relatives à l'infiltration
d'éléments perturbateurs d'où devait naître,
quelques temps plus tard, le drame vécu par le P. Armand
et le responsable de la mission de Nkola où une nuit, les
deux Pères furent attaqués par des rebelles en armes:
tous deux ne durent leur salut qu'à leur courage, leur sang
froid et ... leurs moyens de défense.
Ce fut l'époque où le missionnaire pouvait espérer
ajouter à sa panoplie, la palme du martyre, et sans aucun
doute celle de la foi, du courage et de la ténacité
ainsi que ce fut le cas pour nos missionnaires au Cameroun en 1959
et au Congo-Zaire en 1964.
Bien entendu le P. Armand avait, comme tout un chacun, ses petites
faiblesses, et ayant appris à vivre au rythme des africains,
il disait volontiers comme eux: que le temps est un cadeau de Dieu
et qu'il ne faut pas lui faire violence, car il ne garde pas ce
que l'on fait sans lui. Chez lui jamais de précipitation
ou d'accélération désordonnées. Effectivement
ce que j'ai toujours apprécié chez lui sur le plan
humain, c'était son calme, sa sérénité,
j'allais dire sa "force tranquille"; il ne se départissait
de son calme qu'exceptionnellement: rarement un mot plus haut que
l'autre, plus rare encore un éclat de voix, il est vrai que
sa carrure et sa stature suffisaient à elles seules à
ramener le calme au cours des palabres, ce qui l'étonnait
lui-même et l'incitait parfois à aller au devant de
la difficulté. "C'est quand même curieux, me disait-il,
quand on a des ennuis, on n'est pas content, on râle, et quand
on n'en a pas on en cherche"! Mais cela finissait toujours
par s'arranger.
Pour terminer ce petit billet, je le conclurai avec des mots sortis
du coeur et dictés par une véritable amitié,
jamais démentie: le P. Armand était un très
bon confrère, avec qui il faisait bon vivre, avec qui on
était content de vivre. C'est, je crois, le plus bel éloge
adressé à un frère qui a partagé votre
vie; l'idéal, les peines, les joies, et les labeurs. Je terminerai
par la prière du P. André Prévot: "Bon
Maître, vous avez promis de nous rendre la même mesure
que celle dont nous nous serons servis pour les autres, alors vous
aussi faites déborder la mesure de la charité"
pour notre frère Armand qui a toujours cru en vous, a toujours
espéré en vous, et vous a aimé dans vos frères,
les plus petits.
Paul Ravot scj.
AVANT-PROPOS,
EXERGUE - CAUSES
INTRODUITES
|